13Cine

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mardi 12 novembre 2013

Prisoners

Prisoners de Denis Villeneuve
genre: drame
Sortie le 09 octobre 2013


Remarqué en 2010 avec son film Incendies, où il dressait déjà un portrait peu reluisant de l'être humain, Villeneuve revient cette année avec un film noir et désespéré comme on en voit que très rarement. Avant de de vous donner mon avis sur ce chef d'oeuvre, je vous conseille de ne pas tenir compte des arguments de la promo, que ce soit par ce cher William Friedkin, qui rapproche ce film à Seven (oui, pourquoi pas...) et des similitudes que le film peut entretenir avec Mystic river, dont le sujet est assez proche, mais dont le traitement diffère en beaucoup de points. Voilà, ça, c'est fait.

Le film raconte le calvaire enduré par deux familles de province américaine dont les cadettes se font enlever le jour de thanksgiving. D'abord inquiet, le père d'une des fillettes, Keller, décide que face à l'impuissance de la police, il va devoir enquêter lui même, quitte à franchir certaines limites morales. Voilà pour le postulat de base. A partir de ce matériau, le scénariste Aaron Guzikowski et Denis Villeneuve mettent en place une enquête vertigineuse remplie de faux semblants, de mensonges, de manipulation et d'empathie. C'est d'ailleurs une des forces du métrage, cette empathie variable qui confine parfois au malaise. Explications. Le film commence et très rapidement les gamines disparaissent (je spoile pas, rassurez vous), nous laissant aux côtés de deux familles dévastées par la perte d'une des leurs. Jamais complaisante, la caméra de Villeneuve nous fait partager par bribes la détresse des parents, entre attentes de nouvelles de la police et veillée de soutien aux enfants. Et dès lors que l'enquête est lancée avec la première arrestation et ce qui s'en suit (la libération du suspect, Alex, jeune ado mentalement attardé, et la traque de Keller), la sympathie commence à dériver lentement vers le suspect principal, victime de la vengeance de Keller, perdant tout sens moral pour arriver à ses fins, quitte à réduire à l'état animal sa victime, à le déshumaniser. On hésite à approuver les gestes borderline de Keller sur le coupable (est il seulement coupable au moins? Si ce n'est pas le cas, Keller passe pour un psychopathe qui aura eu toute notre empathie) et on se prend à souffrir avec Alex, victime lui aussi d'une machination qui semble tous les dépasser. On se retrouve dans la position désagréable du complice, à l'image de la femme du personnage interprété par Terrence Howard, qui est au courant des agissement de Keller mais qui préfère se taire, si cela doit lui ramener sa fille. 


Le film est également une excellente enquête policière, longue certes, mais toujours maintenue sur le fil du rasoir, avec régulièrement un rebondissement ou une avancée dans l'enquête menée par Loki, brillamment interprété par Jake Gyllenhall, flic aux méthodes parfois limite mais efficace dans son travail. On découvre avec son personnage les ramifications d'une affaire commencée 15 ans plus tôt, et dont chaque élément se remet à sa place dans le dernier acte. Et si parfois quelques ficelles paraissent un peu grosses, on est toujours dans cette empathie, cette fois avec Gyllenhall, prêt à tout pour sauver les fillettes, puisqu'il l'a promis aux parents. Un mot pour vous dire que pour une fois, le tueur ne se laisse pas deviner facilement, et lorsque le twist arrive, on découvre une parfaite raclure, monstre sans coeur qui transpire la haine du genre humain. Le film réserve même quelques scènes de tension bien flippantes (les intrusions dans les domiciles des victimes) et une poursuite en forêt haletante, qui a d'abord le mérite de faire passer la seconde niveau rythme, et ensuite d'amener de nouvelles pistes quant à l'identité du coupable. 
Je vous parlais de la comparaison qui est assez régulièrement faite avec Mystic River d' Eastwood. Le film n'est pas mauvais en soi, c'est Eastwood, mais comparé à Prisoners, il est d'un classicisme qui le laisse un peu sur le bord de la route. Villeneuve sait construire son film. Jamais complaisant dans ses choix de mise en scène, et pourtant il serait facile de se vautrer dans le voyeurisme notamment dans les scènes de torture, il préférera toujours le cadre parfait, le contrechamps efficace qui marquera profondément l'esprit du spectateur (l'image du visage d'Alex en bouillie, ses mains attaché au lavabo, est particulièrement dur à supporter). Villeneuve fait baigner son récit dans une lumière hivernale et triste, pas un rayon de soleil ne viendra réchauffer l'atmosphère, où les seules lumières chaudes sont celles des bougies de la veillée de soutien, ressemblant dramatiquement à une veillée funèbre. Et pour en revenir à ce que disait William Friedkin, ce n'est pas parce qu'un film a une ambiance poisseuse et glauque qu'il faut obligatoirement ressortir la carte Seven. Celui ci se passait à New York, métropole grouillante et pluvieuse où se tapissait un psychopathe, ici le drame prend place dans une petite ville dans la banlieue de Boston, où comme le croyait la femme de Keller, de telles horreurs ne peuvent pas et ne doivent pas arriver.


Petit mot sur le casting, à commencer par Jackman qui, loin de ses conneries chez Marvel, prouve que bien dirigé il est capable du meilleur. Gyllenhall s'en tire bien, avec un rôle plus effacé, à la fois enquêteur mais surtout témoin de ce qui se passe dans sa ville. Par contre Terrence Howard joue toujours aussi mal. 
Pour conclure, les 2h30 du récit passent à une vitesse folle, mais je vous préviens, aussi grand et puissant que soit le film, je vous déconseille de le voir si vous êtes déprimé. 

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