13Cine

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vendredi 31 janvier 2014

Le vent se lève

Kaze tachinu de Hayao Miyazaki
genre : dernier instant de grâce
Sortie le 22 janvier 2014



Le vent se lève, il faut tenter de vivre. Ce sont des mots tirés d'une oeuvre de Paul Valery (Le cimetière marin, pour être exact) qui ouvrent et ferment le dernier film du maître, et c'est un peu le sentiment que l'on éprouve à ces deux moments du film. le vent se lève, et le film commence. Le vent se lève et il faut continuer à vivre, le film se termine et il faudra désormais composer sans Miyazaki et son génie sans égal. On avait été prévenu, ce film serait son dernier et ultime, autant vous dire qu'il était attendu et à la fois pas du tout. Attendu car un film de Miyazaki est toujours synonyme d'oeuvre phare dans le domaine de l'animation cinématographique, et pas du tout attendu car savoir que l'on va assister à un dernier chef d'oeuvre avant le tomber de rideau est toujours triste à accepter. le maître n'aura donc pas failli jusqu'au bout, son dernier film est un pur chef d'oeuvre, à la fois riche, émouvant, vertigineux, empli d'une tristesse et d'une nostalgie qui vous laisse à la fois ému et heureux. 
Inutile ici de se lancer dans une rétrospective de l'oeuvre de Miyazaki, ni l'envie ni la place, mais pour ceux qui auraient déjà eu la chance de voir ses précédents films, et surtout son avant-dernier métrage Ponyo sur la falaise,  force est de constater que Le vent se lève effectue une rupture de ton assez brutale avec le reste de son oeuvre. S'il est vrai que sous certains aspects le cinéma de Miyazaki pouvait, à raison, donner l'impression de s'adresser aux plus jeunes spectateurs, tous ses films se doublaient d'un discours et d'idées plus promptes à toucher un public plus adulte (nostalgie de l'enfance, grandir en l'absence des parents, acceptation des responsabilités, prise de conscience de la place de l'individu etc....). Et la première chose qui frappe ici, c'est l’impression que le film s'adresse d'abord aux adultes et ensuite aux plus jeunes. Le contexte est ici plus adulte justement, loin des fantaisies miyazakiennes, et le film est ancré dans une réalité crédible (le japon d'avant guerre) avec des personnages auxquels on peut très vite s'identifier, à commencer par Jiro, jeune garçon passionné d'aviation. Là où le film surprend, c'est lorsque Miyazaki ose afficher frontalement ses personnages aux drames et à la tragédie. Des films comme Ponyo nous montrait des personnages heureux de s'être pris un tsunami dans la tronche (et donc d'avoir un aquarium grandeur nature dans le jardin), dans le dernier film de Miyazaki, les héros sont confrontés à l'horreur d'un tremblement de terre qui détruit leur ville, les obligeant à l'exil, et à la maladie (la tuberculose qui condamne la femme du héros) qui les pousse à faire des choix cruciaux dans leur existence. On peut y voir une volonté, dans le testament filmique de Miyazaki, de dire qu'il a été important de rêver et d'être insouciant, mais qu'il va falloir commencer à affronter la Vie, la vraie, avec tout ce qu'elle peut avoir de difficile. 


A cette réalité brute s'opposent la rêverie, l'optimisme et l'imagination sans limite de Miyazaki, qu'il transmet à ses héros, et qui leur sert de moteur pour atteindre leurs objectifs et ambitions. C'est une image de l'ingénieur Caproni (lointain cousin obèse et moustachu de Lupin de Cagliostro) qui va faire rêver Jiro et le pousser à devenir lui même ingénieur pour construire l'avion Zero. C'est cet utopisme parfois naif qui fait vaciller ses héros (les quolibets que récolte Jiro lorsqu'il dit a ses collègues que ses avions iraient plus vite sans les mitraillettes sous les ailes) mais qui leur vaut l'admiration de leurs pairs qui n'osent pas penser comme eux. 
Cette dualité rêve / réalité est encore plus frappante dans l'histoire d'amour entre le personnage principal et sa femme. Si tout parait trop beau pour être vrai (le coup de foudre enfantin devient l'histoire d'amour de toute une vie), la réalité rattrape toujours le héros en lui faisant affronter le destin cruel qui attend sa bien aimée, atteinte de tuberculose. D'ailleurs on savait Miyazaki fin observateur de l'Humanité, on le découvre capable de brosser un portrait émouvant et déchirant d'un couple face à la maladie, entre petits moments de bonheur et de complicité et pics émotionnels qui vont vous faire sortir les mouchoirs (La femme mourante qui décide d'aller finir sa vie dans la montagne pour laisser à son mari une image positive et heureuse avant son Départ). 
Miyazaki semble se livrer comme jamais, à l'aube de son départ, en se projetant dans son son personnage, control freak perfectionniste, orgueilleux mais généreux, altruiste mais souvent naif. 
On pourrait développer pendant des pages sur le fond du métrage, oeuvre somme et magistrale, mais ce serait oublier la forme. Miyazaki continue de nous éblouir au travers de tableaux magnifiques, de plans et d'images riches en signification et symboliques (le plan voyant la femme de Jiro peindre sous un parasol, berçée par le vent, rejointe par son mari qui lui dépose un baiser, est d'une force émotionnelle rare), et l'on se surprend à replonger dans des souvenirs d'enfants lorsque Miyazaki met en image les rêves de Jiro, voyant défiler dans le ciel une flotte d'avions italiens, aux couleurs du drapeau vert, blanc et rouge, ou quand il s’imagine pilote émérite affrontant des bombes ricanantes et menaçantes. 


Toujours accompagné de Joe Hisaichi à la bande originale, Miyazaki réalise une oeuvre à la fois touchante et grave, ode à la vie triste mais heureuse, qui se conclut sur justement une illustration du vers inaugural "le vent se lève, il faut tenter de vivre", sur un plan qui est peut être un des plus magnifiques que l'on ai pu voir dernièrement, une prairie battue par le vent, silencieuse, sur laquelle s'engage Jiro, accompagné de ses rêves mais sans sa femme qui lui demande de continuer à vivre sans elle. Comme le lui dit Caproni, ses avions sont comme ses rêves, il partent pour ne jamais revenir, il faut passer à autre chose, toujours aller de l'avant. C'est  décidément une belle page du Cinéma d'animation (et du Cinéma tout court d'ailleurs) qui se tourne avec ce film, et pour conclure sur une autre citation qui convient très bien lorsqu'on ressort ému de ce film : 
Ne pleure pas car c'est fini, souris parce que c'est arrivé.

Vous trouverez ci dessous un extrait de la bande originale. A se procurer d'urgence, tout l'album est du même niveau.


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