Genre : comédie fantastique
Sortie le 8 janvier 2014
S'il y a bien un réalisateur espagnol qui attire la curiosité à chaque nouveau film, c'est bien Alex De la Iglesia. Découvert avec Action mutante, il ne cesse, en alternant les genres à chaque nouveau film, de proposer de nouvelles formes de divertissement. Autant à l'aise dans la comédie sociale, avec mes chers voisins par exemple, que dans le drame, comme il l'a montré avec son dernier film Balada triste de trompeta, chaque nouveau métrage est attendu de pied ferme. Retour donc de ce réalisateur pour une comédie fantastique, complètement folle et décomplexée, mais chose assez surprenante, avec plusieurs niveaux de lecture et d'interprétation.
Le premier niveau de lecture sera plutôt à situer au niveau du divertissement pur et dur. Comme l'a prouvé par le passé De La Iglesia avec des films tels que Mes chers voisins ou encore Le crime farpait, il excelle dans le genre dans lequel il souhaite raconter son histoire. Pour ce qui des sorcières de Zugarramurdi, on se situe clairement dans la comédie fantastique, ultra référentielle et décomplexée. Une des premières références avouées du réalisateur est le film Une nuit en enfer de Robert Rodriguez, qui commençait avec un braquage et une prise d'otages et qui bifurquait à sa moitié de métrage vers le fantastique pur et dur avec des vampires et des braqueurs obligés de s'associer à leurs otages pour survivre jusqu'au matin. Dans le cas présent, on commence avec un père de famille et son ami braqueur qui, pour échapper à la Police, fuient vers la France et s'arrêtent en chemin à Zugarramurdi, ville réputée pour ses anciens sabbats et ses sorcières. Une longue nuit de folie les attend. Si le film de Rodriguez commençait avec une tension immédiate et une absence totale de second degré et d'humour (fusillade, immolation, pression psychologique), De La Iglesia annonce d'entrée de jeu la tonalité du film : La comédie. Si vous n'avez jamais vu Jésus et Bob l'éponge commettre un braquage avec Minnie et l'homme invisible, je vous le conseille ça vaut son pesant d'or. Les deux films suivent le même tracé, remplacez simplement les vampires du désert par des vieilles sorcières ibériques, jusqu'à un final mélangeant allègrement bastons en lévitation tout droit sorties de Zu de Tsui Hark, monstre géant venu des bois et dévoreur d'humains (référence à King Kong, qui comme son homologue espagnol est sermonné par des chants et des tambours) et même La famille Adams, avec le spectacle de fin d'année du gamin de la bande dont le numéro de magie vire au bain de sang digne de la grande époque du grand guignol. Le mot d'ordre est de ne jamais se prendre au sérieux (réservons ça au deuxième niveau de lecture), et de rire de tout, des personnages tous plus cons les uns que les autres, des dialogues parfois complètement surréalistes, du comique de situation et de certains choix de mise en scène, à l'image de certaines sorcières interprétées par des hommes qui ne se donnent même pas la peine de changer leur voix. Et même si parfois le rythme faiblit en milieu de métrage (c'est d'ailleurs un défaut récurrent dans la filmo de De La Iglesia, tous ses films ont la même structure : Introduction punchy / début du récit / Ventre mou / climax / plan final), certains passages confinent à l'hystérie collective, comme si la mise en scène s'accordait à la folie ambiante du film.
Comme je vous le disais plus haut, le film offre deux niveau de lecture. Si le métrage fonctionne très bien en tant que comédie fantastique, il serait injuste de cantonner le réalisateur au seul rôle d'amuseur public. Si l'on regarde les derniers films du monsieur, on constate que ceux-ci, sous leur apparence de film de genre (western pour 800 balles, drame pour Balada triste, comédie pour un jour de chance ou mes chers voisins) ils ne sont que des chevaux de Troie pour asséner des messages et des idées sous-jacents parfois virulents de la part du réalisateur à l'encontre de la société actuelle. Si 800 balles est un western, c'est aussi une critique de la modernisation à outrance prenant le pas sur le patrimoine et la culture (les méchants promoteurs qui veulent raser le cinecitta local), Mes chers voisins est une comédie acerbe qui n'oublie jamais de faire remonter à la surface le côté égoïste et lâche de chaque individu vivant en communauté dès lors qu'il est possible d'écraser ses semblables et amis si l'on peut toucher le pactole et ne rien partager. Dans le cas du film qui nous intéresse ici, c'est la position des femmes dans la société actuelle qui est ici traitée. Dans le film, les hommes n'occupent qu'une place limitée, cantonnés à des rôles de lâches (le personnage principal est avant tout un père absent qui ne pense qu'à lui et un menteur sans foi ni loi) ou d'homos refoulés incompétents dans leur travail (les deux policiers). Les femmes tiennent ici les rôles principaux, entre femmes fortes (les deux chefs de la communauté de sorcières) et femmes fragiles et naïves car amoureuses (la jeune sorcière). Manipulatrices et dangereuses, elles en deviennent finalement beaucoup plus intéressantes à suivre que le trio de héros assez couillons et faibles, résumant bien l'idée que les hommes sont au final assez dispensables et obligés de se plier aux règles imposées par les femmes pour pouvoir exister ou survivre. De la Iglesia entérine d'ailleurs ce propos en faisant interpréter des rôles de mégères par des acteurs, hommes contraints de par la mise en scène à se travestir pour pouvoir exister dans le récit. Le film prend par moment des tournures de film fantastique féministe engagé, où l'on papote hommes, sexualité débridée, où une scène de sacrifice humain prend des allures de soirée tupperware. C'est d'ailleurs les femmes qui ont le dernier mot (au sens propre comme au figuré) du film, dans un ultime constat à la fois désespéré mais tristement réaliste, quand l'une des sorcières, voyant les hommes se glousser devant leur nouvelle richesse, dit à ses amies que tôt ou tard, ils seront perdus et sans repères et qu'ils devront revenir vers celles qui leur auront prêté le plus d'attention, les femmes de Zugarramurdi.
C'est ce parfait équilibre qui fait tout le charme du film, à la fois farce grasse et hilarante, parfois lourdingue mais remplie de dialogues priceless (" Moi je n'ai pas peur des sorcières, ce que je crains le plus, ce sont les fils de pute" dixit la sorcière en chef) et aussi pamphlet radical sur la position des femmes dans la société espagnole actuelle.
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