Si vous suivez un peu mes billets sur ce blog, vous aurez facilement compris depuis un bon moment que le film de Gareth Edwards est un des métrages les plus attendus de 2014, en ce qui me concerne. Pourquoi ? Parce que depuis que je suis enfant, le monstre de Godzilla est une icone, un mythe qui fut un de mes premiers souvenirs de cinéma fantastique. Oui quand on est gosse on est impressionnable et quand on voit un lézard / dinosaure détruire des immeubles en crachant du feu, ça marque. Plus généralement, dans l'imaginaire collectif, si vous demandez quelles sont les figures emblématiques du cinéma fantastique, catégories grosses bêtes, vous en aurez au moins deux qui reviendront assez régulièrement : King Kong et Godzilla. King Kong au sommet de l'empire state building ou Godzilla à Tokyo, chacun possède son univers et a eu droit à de nombreux films, même si d'un point de vue quantitatif le géant nippon gagne par KO (au moins 28 films officiels). Aussi, plutôt que de me livrer à un catalogage fastidieux et lourdingue, à lire et à faire, il sera beaucoup plus simple de découvrir l'évolution du kaiju le plus célèbre du Cinéma, de son apparition en 1954 à son retour sur les écrans en 2014.
Commençons par le commencement, retour en 1954.
Godzilla (1954) de Ishiro Honda.
Petite leçon d'histoire. Le Japon, comme vous le savez, a subi deux bombardements majeurs lors de la seconde guerre mondiale : Hiroshima et Nagasaki. Et bien qu'une rédition du Japon face aux Etats-Unis ait mis fin au conflit, le traumatisme nucléaire fait désormais partie intégrante de l'histoire du pays (le Japon ayant été le premier pays à avoir subi un assaut nucléaire). C'est dans ce Japon en pleine "reconstruction " qu'un Studio, la Toho, surfant sur le succès en salle de King Kong, entreprend de produire un kaiju eiga, dénomination japonaise pour "cinéma des monstres", Kaiju signifiant monstre. Dans ces films le monstre n'est d'ailleurs pas décrit comme une créature maléfique ou démoniaque, la culture japonaise préférant y voir une force de la nature propre à exterminer l'homme et ses excès, anti-écologiques et destructeurs.
C'est ainsi que déboule en 1954 le premier Kaiju : Godzilla (ou Gojira si l'on veut respecter le titre original), réalisé par Ishiro Honda. Toute la quintessence et les codes du film de monstre sont déjà présents dans ce film. Le scénario est clair : des bateaux de pêches s'échouent, les mers n'ont plus de poissons, les indigènes d'une île japonaise craignent un dragon marin millénaire et surtout redoutent son réveil. Bien évidemment celui ci n'est autre que Gojira, qui s'en va tranquillement détruire Tokyo. Piétinement de maquettes, japonais courant dans les rues, et surtout un cri animal devenu mythique.
le trailer de 1954
Si le film a vieilli au niveau des effets spéciaux (les maquettes, le costume, tout ça...) il reste un témoignage précieux sur l'état d'esprit des japonais à la sortie de la guerre et après Hiroshima. Si effectivement on peut naïvement gober que le Godzilla est un dragon légendaire, ce serait oublier qu'un des personnages du film ose affirmer que le monstre est un dinosaure réveillé par... des essais nucléaires américains. Le nucléaire ne sert à rien si ce n'est à créer des monstres (métaphore ou non, libre à vous d’interpréter) et détruire des villes. Étrange façon d'exorciser ses démons, certes, mais au final Godzilla va devenir le symbole de l'horreur atomique au Japon. Un exorcisme qui rapportera beaucoup d'ailleurs, le film devenant un des plus gros succès de la Toho, et confirmant le statut de roi des kaiju eiga de Honda. On y reviendra après un petit détour par les Etats-Unis.
Godzilla, king of the monsters (1956)
Godzilla étant un gros carton au box-office nippon, il ne fallu pas longtemps pour qu'Hollywood s'intéresse à ce nouveau monstre, histoire d'apporter du sang neuf sur le sol américain, après King Kong et autres bestioles venues de l'espace.
La compagnie Transworld Pictures se charge de distribuer le film originel de Honda, mais y apporte une différence de taille. Je vous disais plus haut que dans le film original, un scientifique japonais affirmait que les essais nucléaires américains avaient réveillé la bête. Mais ce petit détail qui n'avait pas choqué grand monde au Japon (Hiroshima encore et toujours) va faire tiquer les américains, peu enclins à se faire rappeler leurs exploits lors de la deuxième guerre mondiale, et encore moins au cinéma. Ils décident donc de biffer toute référence au nucléaire américain et engagent l'acteur Raymond Burr, archétype à l'époque de l'homme intrépide et américain (futur Perry Mason, vieillard à roulettes de vos après midi sur TF1) pour tourner quelques scènes additionnelles dans le rôle d'un journaliste enquêtant sur le monstre. Le film reste quand même regardable, si l'on s'en tient au fait qu'on regarde juste un film de monstre, mais 17 minutes de propos anti-nucléaire ont disparu laissant place à du divertissement pur et dur.
Deux façon d'aborder un problème dirons nous...
Mais revenons au pays du soleil levant.
King Kong contre Godzilla (1962)
Quelques années plus tard Honda est à nouveau sollicité pour réaliser un autre film avec Godzilla (un parmi tant d'autres), mais celui-ci aura pour particularité de mettre notre kaiju préféré face... à King Kong. La Toho ayant racheté les droits du grand singe à la RKO, ce fut le premier cross over du film de monstres.
Ce film est intéressant à plus d'un titre. Tout d'abord, il s'agit du premier film de la saga à être tourné en couleurs. Ensuite, le carton du film original a eu un effet pervers sur le monstre nucléaire. Si dans le Honda original, Godzilla était une représentation de la peur du nucléaire des habitants de l'archipel, son succès a vite fait de le transformer en monstre figure de proue du Fantastique susceptible de ramener des spectateurs avides de destruction et de sensations fortes. Oublié Hiroshima, oublié Nagasaki, bienvenue au roi des monstres, Gojira le destructeur demaquettes villes. Désormais tous les moyens seront bons pour en offrir toujours plus aux spectateurs, et pour commencer, autant lui faire affronter l'autre monstre sacré du Cinéma : King Kong.
Désormais les récits ne parleront plus de bombes atomiques, tout du moins les éventuels sous-entendus en rapport avec son utilisation comme arme de mort seront mis de côté, et les scénarios verseront dans le divertissement pur et dur, sans trop se soucier d'un semblant de crédibilité (toutes proportions gardées bien sûr, on parle quand même d'un gros dinolézard surpuissant crachant du feu). Dans ce film, Godzilla est réveillé des glaces par un sous marin nucléaire (le détail relève plus du clin d’œil au film original qu'autre chose, cela n'a aucune incidence future dans le film) pendant que sur l'île de Faro (et non plus Skull island) King Kong est enlevé et ramené à Tokyo. Comme à New York il s'échappe et on découvre, stupéfait, que King Kong absorbe le courant des fils électriques. Arrive alors Godzilla qui lui, par contre, ne supporte plus rien du tout. Version courte : ils se battent (les spectateurs ont payé pour ça, c'est le minimum quand même). Au final Kong rentre chez lui, Godzilla sombre au fond des mers et file vers Tokyo, pour tout détruire sans doute. Sans surprise, le film est le plus gros carton de la Toho. Le filon Godzilla semble inépuisable. Tant mieux, les producteurs ne manquent pas d'idées pour le faire exister sur Grand écran.
Si la Toho affichait assez fièrement ses résultat au box office au début des années 60, les studios concurrents commençaient à se demander comment arriver à contrer cette offensive godzillienne sans trop se fatiguer.
Et c'est en 1965 que les Studios de la Daiei Motion picture company eurent une idée de génie : créer un monstre capable de concurrencer Godzilla sur le terrain de la destruction massive. Son nom est Gamera, la tortue rétro-propulsée.
Invasion Planète X (1965) et Godzilla, Ebirah et Mothra, duel dans les mers du sud (1966)
L'histoire de Gamera est peu ou prou la même que Godzilla (Dodo millénaire interrompu par la guerre, réveil agressif et belliqueux envers le Japon), à la différence que Gamera est clairement, dès le premier film, identifié comme une tortue géante préhistorique contrairement à Godzilla qui laisse planer le doute quant à ses véritables origines (Lézard surexposé au nucléaire ou gros dinosaure, dieu ancien en sommeil ?). Mais bien qu'il soit très vite adopté par les amateurs de monstres géants, il restera toujours sur la deuxième marche du Podium des kaiju. Une des raisons principales est que la Toho, craignant que le monopole des monstres géants ne leur file entre les doigts, vont créer toute une série de monstres tous plus crétins et improbables les uns que les autres, ne laissant que des miettes à la Daiei. Gimmick récurrent de cette portée de créatures : leur faire croiser au moins une fois le roi des monstres. ce fut déjà le cas en 64 avec Mothra contre Godzilla, la mite géante contre le lézard, réalisé par Honda. Et les scénarios de continuer à proposer des histoires de plus en plus improbables pour faire cohabiter tout ce petit monde. Deux des exemples les plus flagrants : Invasion Planete X et Godzilla, Ebirah et Mothra, duel dans les mers du sud (L'originalité dans les titres est inversement proportionnelle au niveau d'imagination des scénaristes, autant appeler le film Ils se battent, ou Monster fight). Dans le premier, l'action se passe sur Jupiter où le peuple local, les Ixiens, sont persécutés par le monstre à trois têtes, Ghidora. Profitant de l'arrivée de terriens sur leur planète (un seul mot d'ordre : ne cherchez pas le pourquoi du comment, just watch...), ils leur proposent un marché : un vaccin pour tout et surtout n'importe quoi s'il veulent bien leur prêter Godzilla et Rodan le ptérodragon pour casser la gueule à Ghidora. Le film est un grand moment pour tout fan de Kaiju : on y retrouve le boss et un des monstres les plus marquants du bestiaire nippon : Rodan, mélange improbable de ptérodactyle et de dragon. Le tout baignant dans une esthétique kitsch à s'en péter les yeux, toujours réalisé par Ishiro toujours dans les bons plans Honda.
Concentrez votre imagination sur la partie haute de l'image
Dans le deuxième, on reste sur Terre, et même sur les mers puisqu'il est ici question d'indigènes réduits en esclavage, d'organisation secrète, de famille séparée et surtout de monstres. On retrouve donc ici Godzilla, limite relégué au second plan puisqu'il sert ici de renfort à Mothra, invoqué pour se débarrasser de Ebirah, crabe géant terrorisant les habitants de l'île. Il faut admettre que ce n'est pas le plus réussi des cross-overs, Ebirah le crabe n'étant pas le plus impressionnant des monstres de la Famille, et les bastons en mer font beaucoup moins de ravages qu'en centre ville.
Force est de reconnaître que c'est à partir de ce film que le personnage de Godzilla va opérer un changement drastique dans son évolution, passant de destructeur de l'Humanité à principal allié des humains. Il ne génère plus de crainte, il est montré comme une force de la Nature capable d'être utilisé pour de nobles causes. Et les scénaristes d'oser un peu tout et n'importe quoi avec leur bébé, en commençant par lui attribuer un fils.
Le fils de Godzilla - "Godzilla baby sitter" (1967)
Ainsi, dans le film de 67, on découvre que pour Godzilla, péter des tanks c'est bien mais éduquer un monstre tout niais tout choupinounet c'est mieux. Des photos valent mieux qu'un long discours.
Le fils de Godzilla, ou comment faire découvrir le Kaiju eiga aux plus jeunes des spectateurs. Le film assure juste ce qu'il faut de monstres (merci les araignées / mantes géantes) et le temps du destructeur Godzilla semble bien éloigné.
Godzilla à toutes les sauces (1974-2014)
On pensait avoir touché le fond mais c'est compter sans l'imagination débordante et jusqu'au boutiste des scénaristes, prêts à tout pour exploiter le grand lézard atomique. Voici l'idée de génie : Qui pourra battre Godzilla à part Godzilla lui même ? La réponse :
Mecha-godzilla. Au moins quatre films entre 1974 et 1993 lui seront consacrés, dont un réalisé par Honda lui même, avec plus ou moins d'intérêt. Tour à tout créature extra terrestre puis robot militaire, la source Godzilla ne semble jamais pouvoir se tarir...Au delà du manque (ou de l'excès, ça dépend de quel point de vue on se place) d'imagination des scénaristes et des producteurs pour presser le citron jusqu'au bout, on peut y voir une manière assez maladroite de mélanger respect des grands classiques et vision futuriste d'un Japon tentant de se moderniser, tant d'un point de vue cinématographique que culturel. Quand la modernité et le futur paraissent trop menaçants, rien ne vaut un bon monstre à l'ancienne.
Continuons dans l'outrage avec la sortie en 98 du Godzilla de Roland Emmerich. Emmerich a beau clamer sur tous les toits au moment de la sortie du film qu'il est fan du film original, on peut se permettre d'en douter à la vue du film. Plutôt que de situer son film au Japon, il transpose son action dans New York, ne lui donne pas un fils mais toute une portée, et lui colle aux basques Jean Reno, scientifique français, car oui Godzilla est né à cause des essais nucléaires français dans le Pacifique. Le film a pour gros défaut de s'appeler Godzilla, tant il ne reste plus rien du monstre original et de sa symbolique anti-nucléaire . Ressemblant plus à un t-rex shooté aux hormones qu'à un titan des mers nippones, il gambade entre Time Square et l'Empire State Building en essayant de gober Matthew Broderick et Jean Reno en taxi. Le film cartonne au box office malgré des critiques lapidaires ( "Godzilla Only In Name") et accouche même d'une série diffusée en France sur M6 Kid, avec un godzilla et son copain humain. Seule chose a sauver de ce naufrage, le score martial de David Arnold. C'est peu mais il faudra s'en contenter. La Toho y réfléchira à deux fois avant d'autoriser Hollywood à massacrer à nouveau ses œuvres.
Et puis Jean Reno quoi...
Après cette débâcle américaine, Godzilla revient au bercail pour un Godzilla 2000, plus moderne et pourtant beaucoup plus respectueux du matériau original que le film de Emmerich. S'ensuit une poignée de métrages incluant encore une fois MechaGodzilla, Mothra etc... la plupart produits par la boite Millenium, qui ambitionne de redonner de la superbe à un mythe qui en a besoin après l'affront New-yorkais. Certes ce ne sont pas tous des chefs d'oeuvre et certains se reposent beaucoup sur les films qui ont précédé (on y croise Mothra par exemple), mais force est de reconnaître qu'il vaut mieux parfois se contenter de faire sagement son boulot en respectant les codes du kaiju Eiga plutôt que tenter tout et n'importe quoi avec le mythe de Godzilla.
Et c'est en 2004 que sort le film anniversaire pour commémorer les 50 ans du lézard géant : Godzilla final wars réalisé par Ryuhei Kitamura (Versus, Midnight meat train), sorte de grand défouloir où se retrouvent tous les monstres de la Toho, une race extra terrestre, et un godzilla impérial. Fun sans être ridicule, ayant aussi recours aux bonnes vieilles maquettes, témoignant d'un respect sans faille de la nouvelle génération du cinéma japonais aux premières heures du Fantastique sur l'archipel, le film porte la marque surexcitée et foutraque de son réalisateur, qui ne rate pas une occasion de tout faire péter à l'écran, arrivant même à faire oublier la bouse US de Emmerich.
Si l'on s'en tient à la chronologie officielle des films consacrés à Godzilla, aucun film n'aurait vu le jour depuis ce dernier métrage. Et c'est en 2012 que les premiers échos d'un nouveau remake commencent à se répandre sur la toile. La nouvelle est fraîchement accueillie, tout le monde a encore en tête la daube de tonton Emmerich, et on se demandait qui allait avoir l'honneur de redonner vie au grand lézard.
Godzilla version 2014
Et là surprise, plutôt que de confier le projet à un réalisateur plus à même de livrer un film spectaculaire, le choix se porte sur Gareth Edwards. Si son nom ne vous dit rien, il s'agit d'un réalisateur qui s'est fait remarquer avec Monsters, film de monstres contemplatif truffés de scènes de fin du monde et de dévastation, laissant une grande place à l'imagination. La dernière partie du film est plus impressionnante avec deux monstres pourchassant les héros dans une station service en plein désert. Au final on ne peut que saluer le choix de confier le remake de Godzilla à Edwards, qui a su prouver qu'il n'était pas nécessaire de tout faire péter dans tous les sens pour impressionner le spectateur, et qu'on pouvait mêler l'intimiste au grand spectacle. Les trailers de Godzilla sont depuis peu disponibles sur le web et joie, on constate que Edwards a opté pour un look à l'ancienne (gros lézard lent mais imposant) tout en respectant,semble t-il, le film original de Honda. On retrouve à l'affiche Bryan Cranston, Aaron Johnson et même Juliette Binoche.
Croisons les doigts, même les vieux dinosaures ont droit à un dépoussiérage de qualité, surtout l'année de leur 60 ans.
Filmographie sélective :
Godzilla (Gojira), Ishirô Honda, 1954
Godzilla, king of the monsters, remontage de Terry Morse, 1956
King Kong contre Godzilla (Kingu Kongu tai Gojira), Ishirô Honda, 1962
Invasion Planète X (Kaijû daisenso), Ishirô Honda, 1965
Godzilla, Ebirah et Mothra : Duel dans les mers du sud (Gojira, Ebirâ, Mosura : Nankai no daiketto), Jun Fukuda, 1966
Le Fils de Godzilla (Kaijûtô no kessen : Gojira no musuko), Jun Fukuda, 1967
Godzilla vs Megalon (Gojira tai Megaro), Jun Fukuda, 1973
Godzilla contre Mecanik Monster (Gojira tai Mekagojira), Jun Fukuda, 1974
Godzilla, Roland Emmerich, 1998
Godzilla 2000 (Gojira ni-sen mireniamu), Takao Okawara, 1999
Godzilla, Mothra, Mechagodzilla: Tokyo S.O.S. (Gojira tai Mosura tai Mekagojira : Tôkyô S.O.S.), Masaaki Tezuka, 2003
Godzilla: Final Wars (Gojira: Fainaru uôzu), Ryuhei Kitamura, 2004
Godzilla, Gareth Edwards, 2014
King Kong contre Godzilla (1962)
Quelques années plus tard Honda est à nouveau sollicité pour réaliser un autre film avec Godzilla (un parmi tant d'autres), mais celui-ci aura pour particularité de mettre notre kaiju préféré face... à King Kong. La Toho ayant racheté les droits du grand singe à la RKO, ce fut le premier cross over du film de monstres.
Ce film est intéressant à plus d'un titre. Tout d'abord, il s'agit du premier film de la saga à être tourné en couleurs. Ensuite, le carton du film original a eu un effet pervers sur le monstre nucléaire. Si dans le Honda original, Godzilla était une représentation de la peur du nucléaire des habitants de l'archipel, son succès a vite fait de le transformer en monstre figure de proue du Fantastique susceptible de ramener des spectateurs avides de destruction et de sensations fortes. Oublié Hiroshima, oublié Nagasaki, bienvenue au roi des monstres, Gojira le destructeur de
Désormais les récits ne parleront plus de bombes atomiques, tout du moins les éventuels sous-entendus en rapport avec son utilisation comme arme de mort seront mis de côté, et les scénarios verseront dans le divertissement pur et dur, sans trop se soucier d'un semblant de crédibilité (toutes proportions gardées bien sûr, on parle quand même d'un gros dinolézard surpuissant crachant du feu). Dans ce film, Godzilla est réveillé des glaces par un sous marin nucléaire (le détail relève plus du clin d’œil au film original qu'autre chose, cela n'a aucune incidence future dans le film) pendant que sur l'île de Faro (et non plus Skull island) King Kong est enlevé et ramené à Tokyo. Comme à New York il s'échappe et on découvre, stupéfait, que King Kong absorbe le courant des fils électriques. Arrive alors Godzilla qui lui, par contre, ne supporte plus rien du tout. Version courte : ils se battent (les spectateurs ont payé pour ça, c'est le minimum quand même). Au final Kong rentre chez lui, Godzilla sombre au fond des mers et file vers Tokyo, pour tout détruire sans doute. Sans surprise, le film est le plus gros carton de la Toho. Le filon Godzilla semble inépuisable. Tant mieux, les producteurs ne manquent pas d'idées pour le faire exister sur Grand écran.
Si la Toho affichait assez fièrement ses résultat au box office au début des années 60, les studios concurrents commençaient à se demander comment arriver à contrer cette offensive godzillienne sans trop se fatiguer.
Et c'est en 1965 que les Studios de la Daiei Motion picture company eurent une idée de génie : créer un monstre capable de concurrencer Godzilla sur le terrain de la destruction massive. Son nom est Gamera, la tortue rétro-propulsée.
Invasion Planète X (1965) et Godzilla, Ebirah et Mothra, duel dans les mers du sud (1966)
L'histoire de Gamera est peu ou prou la même que Godzilla (Dodo millénaire interrompu par la guerre, réveil agressif et belliqueux envers le Japon), à la différence que Gamera est clairement, dès le premier film, identifié comme une tortue géante préhistorique contrairement à Godzilla qui laisse planer le doute quant à ses véritables origines (Lézard surexposé au nucléaire ou gros dinosaure, dieu ancien en sommeil ?). Mais bien qu'il soit très vite adopté par les amateurs de monstres géants, il restera toujours sur la deuxième marche du Podium des kaiju. Une des raisons principales est que la Toho, craignant que le monopole des monstres géants ne leur file entre les doigts, vont créer toute une série de monstres tous plus crétins et improbables les uns que les autres, ne laissant que des miettes à la Daiei. Gimmick récurrent de cette portée de créatures : leur faire croiser au moins une fois le roi des monstres. ce fut déjà le cas en 64 avec Mothra contre Godzilla, la mite géante contre le lézard, réalisé par Honda. Et les scénarios de continuer à proposer des histoires de plus en plus improbables pour faire cohabiter tout ce petit monde. Deux des exemples les plus flagrants : Invasion Planete X et Godzilla, Ebirah et Mothra, duel dans les mers du sud (L'originalité dans les titres est inversement proportionnelle au niveau d'imagination des scénaristes, autant appeler le film Ils se battent, ou Monster fight). Dans le premier, l'action se passe sur Jupiter où le peuple local, les Ixiens, sont persécutés par le monstre à trois têtes, Ghidora. Profitant de l'arrivée de terriens sur leur planète (un seul mot d'ordre : ne cherchez pas le pourquoi du comment, just watch...), ils leur proposent un marché : un vaccin pour tout et surtout n'importe quoi s'il veulent bien leur prêter Godzilla et Rodan le ptérodragon pour casser la gueule à Ghidora. Le film est un grand moment pour tout fan de Kaiju : on y retrouve le boss et un des monstres les plus marquants du bestiaire nippon : Rodan, mélange improbable de ptérodactyle et de dragon. Le tout baignant dans une esthétique kitsch à s'en péter les yeux, toujours réalisé par Ishiro toujours dans les bons plans Honda.
Concentrez votre imagination sur la partie haute de l'image
Dans le deuxième, on reste sur Terre, et même sur les mers puisqu'il est ici question d'indigènes réduits en esclavage, d'organisation secrète, de famille séparée et surtout de monstres. On retrouve donc ici Godzilla, limite relégué au second plan puisqu'il sert ici de renfort à Mothra, invoqué pour se débarrasser de Ebirah, crabe géant terrorisant les habitants de l'île. Il faut admettre que ce n'est pas le plus réussi des cross-overs, Ebirah le crabe n'étant pas le plus impressionnant des monstres de la Famille, et les bastons en mer font beaucoup moins de ravages qu'en centre ville.
Force est de reconnaître que c'est à partir de ce film que le personnage de Godzilla va opérer un changement drastique dans son évolution, passant de destructeur de l'Humanité à principal allié des humains. Il ne génère plus de crainte, il est montré comme une force de la Nature capable d'être utilisé pour de nobles causes. Et les scénaristes d'oser un peu tout et n'importe quoi avec leur bébé, en commençant par lui attribuer un fils.
Le fils de Godzilla - "Godzilla baby sitter" (1967)
Ainsi, dans le film de 67, on découvre que pour Godzilla, péter des tanks c'est bien mais éduquer un monstre tout niais tout choupinounet c'est mieux. Des photos valent mieux qu'un long discours.
Le fils de Godzilla, ou comment faire découvrir le Kaiju eiga aux plus jeunes des spectateurs. Le film assure juste ce qu'il faut de monstres (merci les araignées / mantes géantes) et le temps du destructeur Godzilla semble bien éloigné.
Godzilla à toutes les sauces (1974-2014)
On pensait avoir touché le fond mais c'est compter sans l'imagination débordante et jusqu'au boutiste des scénaristes, prêts à tout pour exploiter le grand lézard atomique. Voici l'idée de génie : Qui pourra battre Godzilla à part Godzilla lui même ? La réponse :
Mecha-godzilla. Au moins quatre films entre 1974 et 1993 lui seront consacrés, dont un réalisé par Honda lui même, avec plus ou moins d'intérêt. Tour à tout créature extra terrestre puis robot militaire, la source Godzilla ne semble jamais pouvoir se tarir...Au delà du manque (ou de l'excès, ça dépend de quel point de vue on se place) d'imagination des scénaristes et des producteurs pour presser le citron jusqu'au bout, on peut y voir une manière assez maladroite de mélanger respect des grands classiques et vision futuriste d'un Japon tentant de se moderniser, tant d'un point de vue cinématographique que culturel. Quand la modernité et le futur paraissent trop menaçants, rien ne vaut un bon monstre à l'ancienne.
On ne va pas passer en revue tous les films des années 90 et 2000 consacrés au gros lézard, ils ne sont pas tous d'une qualité irréprochable, virant assez rapidement au fan service de base sur pellicule, et consacrons quelques lignes aux pires d'entre eux, et pour commencer, au plus improbable des épisodes de la saga Godzilla, Godzilla contre Megalon, réalisé en 73, par Jun Fukuda, le monsieur derrière le fils de Godzilla. Comment décrire ce film si ce n'est en affirmant que c'est une aberration. Godzilla y affronte Megalon, la blatte géante armée de bras perceuses et surtout Gigan, croisement improbable de pintade et de spinosaure. Heureusement que Godzilla est aidé de Jet Jaguar, un robot venu de la cité de SeaTopia. Soyons francs, ce film est mauvais, Low budget movie, tout le film donne l'impression de se dérouler dans un seul décor (authentique film de carrière) et surtout le métrage prend des allures de Main event de la Wrestling Federation, avec des robots et des blattes qui disposent de finish moves à la Hulk Hogan. Je vous laisse juger des dégâts avec l'extrait ci -dessous. Pour la petite anecdote, sachez que si le Jet Jaguar sus-cité a un look aussi naze et inoffensif, c'est que celui-ci est le résultat d'un concours lancé par la Toho en collaboration avec les écoles primaires japonaises. Oui, ils ont demandé à des gamins de créer le look d'un robot géant. je n'ose à peine imaginer à quoi ressemblaient les perdants de ce concours.
Continuons dans l'outrage avec la sortie en 98 du Godzilla de Roland Emmerich. Emmerich a beau clamer sur tous les toits au moment de la sortie du film qu'il est fan du film original, on peut se permettre d'en douter à la vue du film. Plutôt que de situer son film au Japon, il transpose son action dans New York, ne lui donne pas un fils mais toute une portée, et lui colle aux basques Jean Reno, scientifique français, car oui Godzilla est né à cause des essais nucléaires français dans le Pacifique. Le film a pour gros défaut de s'appeler Godzilla, tant il ne reste plus rien du monstre original et de sa symbolique anti-nucléaire . Ressemblant plus à un t-rex shooté aux hormones qu'à un titan des mers nippones, il gambade entre Time Square et l'Empire State Building en essayant de gober Matthew Broderick et Jean Reno en taxi. Le film cartonne au box office malgré des critiques lapidaires ( "Godzilla Only In Name") et accouche même d'une série diffusée en France sur M6 Kid, avec un godzilla et son copain humain. Seule chose a sauver de ce naufrage, le score martial de David Arnold. C'est peu mais il faudra s'en contenter. La Toho y réfléchira à deux fois avant d'autoriser Hollywood à massacrer à nouveau ses œuvres.
Et puis Jean Reno quoi...
Après cette débâcle américaine, Godzilla revient au bercail pour un Godzilla 2000, plus moderne et pourtant beaucoup plus respectueux du matériau original que le film de Emmerich. S'ensuit une poignée de métrages incluant encore une fois MechaGodzilla, Mothra etc... la plupart produits par la boite Millenium, qui ambitionne de redonner de la superbe à un mythe qui en a besoin après l'affront New-yorkais. Certes ce ne sont pas tous des chefs d'oeuvre et certains se reposent beaucoup sur les films qui ont précédé (on y croise Mothra par exemple), mais force est de reconnaître qu'il vaut mieux parfois se contenter de faire sagement son boulot en respectant les codes du kaiju Eiga plutôt que tenter tout et n'importe quoi avec le mythe de Godzilla.
Et c'est en 2004 que sort le film anniversaire pour commémorer les 50 ans du lézard géant : Godzilla final wars réalisé par Ryuhei Kitamura (Versus, Midnight meat train), sorte de grand défouloir où se retrouvent tous les monstres de la Toho, une race extra terrestre, et un godzilla impérial. Fun sans être ridicule, ayant aussi recours aux bonnes vieilles maquettes, témoignant d'un respect sans faille de la nouvelle génération du cinéma japonais aux premières heures du Fantastique sur l'archipel, le film porte la marque surexcitée et foutraque de son réalisateur, qui ne rate pas une occasion de tout faire péter à l'écran, arrivant même à faire oublier la bouse US de Emmerich.
Si l'on s'en tient à la chronologie officielle des films consacrés à Godzilla, aucun film n'aurait vu le jour depuis ce dernier métrage. Et c'est en 2012 que les premiers échos d'un nouveau remake commencent à se répandre sur la toile. La nouvelle est fraîchement accueillie, tout le monde a encore en tête la daube de tonton Emmerich, et on se demandait qui allait avoir l'honneur de redonner vie au grand lézard.
Godzilla version 2014
Et là surprise, plutôt que de confier le projet à un réalisateur plus à même de livrer un film spectaculaire, le choix se porte sur Gareth Edwards. Si son nom ne vous dit rien, il s'agit d'un réalisateur qui s'est fait remarquer avec Monsters, film de monstres contemplatif truffés de scènes de fin du monde et de dévastation, laissant une grande place à l'imagination. La dernière partie du film est plus impressionnante avec deux monstres pourchassant les héros dans une station service en plein désert. Au final on ne peut que saluer le choix de confier le remake de Godzilla à Edwards, qui a su prouver qu'il n'était pas nécessaire de tout faire péter dans tous les sens pour impressionner le spectateur, et qu'on pouvait mêler l'intimiste au grand spectacle. Les trailers de Godzilla sont depuis peu disponibles sur le web et joie, on constate que Edwards a opté pour un look à l'ancienne (gros lézard lent mais imposant) tout en respectant,semble t-il, le film original de Honda. On retrouve à l'affiche Bryan Cranston, Aaron Johnson et même Juliette Binoche.
Croisons les doigts, même les vieux dinosaures ont droit à un dépoussiérage de qualité, surtout l'année de leur 60 ans.
Filmographie sélective :
Godzilla (Gojira), Ishirô Honda, 1954
Godzilla, king of the monsters, remontage de Terry Morse, 1956
King Kong contre Godzilla (Kingu Kongu tai Gojira), Ishirô Honda, 1962
Invasion Planète X (Kaijû daisenso), Ishirô Honda, 1965
Godzilla, Ebirah et Mothra : Duel dans les mers du sud (Gojira, Ebirâ, Mosura : Nankai no daiketto), Jun Fukuda, 1966
Le Fils de Godzilla (Kaijûtô no kessen : Gojira no musuko), Jun Fukuda, 1967
Godzilla vs Megalon (Gojira tai Megaro), Jun Fukuda, 1973
Godzilla contre Mecanik Monster (Gojira tai Mekagojira), Jun Fukuda, 1974
Godzilla, Roland Emmerich, 1998
Godzilla 2000 (Gojira ni-sen mireniamu), Takao Okawara, 1999
Godzilla, Mothra, Mechagodzilla: Tokyo S.O.S. (Gojira tai Mosura tai Mekagojira : Tôkyô S.O.S.), Masaaki Tezuka, 2003
Godzilla: Final Wars (Gojira: Fainaru uôzu), Ryuhei Kitamura, 2004
Godzilla, Gareth Edwards, 2014
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