Genre : Drame
Sortie le 25 juin 2014
A Hambourg, Tore, jeune punk tendance Jesus Freak paumé, fait un jour la connaissance de Benno sur une aire d'autoroute. Lui venant en aide grâce à une prétendue aide divine, il ne tarde pas à se rapprocher de lui et de sa famille. Mais Benno ne voit pas d'un très bon œil l'arrivée de ce jeune Candide et de ses croyances, surtout si celui ci se rapproche trop de sa belle-fille.
Cela va bientôt faire plus d'un an (au moins depuis Cannes 2013, pour vous donner un ordre d'idée) que Tore Tanzt tourne dans les festivals. Et à chaque projection le résultat est le même : Franc rejet ou totale reconnaissance d'un nouveau talent (la réalisatrice signe là son premier film) et de la réussite du métrage. S'il est vrai que le film n'est pas des plus faciles à regarder et à comprendre (Violence physique et psychologique côtoient Foi aveugle et naïve abnégation), il mérite qu'on aille au delà de la polémique pour découvrir un des films coups de poings de l'été.
Avant d'argumenter sur le film, il est important de présenter le mouvement auquel est rattaché le personnage principal, Tore. Il se revendique comme étant un Jesus Freak (fous de Jésus pour très grossièrement simplifier le terme), chrétien passionné et engagé persuadé de détenir une vérité sur Jésus que les autres chrétiens ne peuvent comprendre. Prônant l'abstinence jusqu'au mariage et se réunissant dans des soirées à écouter du rock chrétien où à haranguer les foules en bannissant tout luxe et confort matériel, les Jesus freak semblent vivre quelque peu en marge de la Société. Et c'est au sein de cette communauté que vit Tore, donc, jeune sans repère ni famille, et qui semble exister complètement déconnecté des réalités. Sa rencontre avec Benno va très vite lui apprendre la Vie, la vraie.
C'est d'ailleurs cette confrontation entre le monde irréel et fantasmé de Tore et la cruelle réalité du Monde représentée par Benno qui va servir de fil rouge au film. Tore nous est présenté comme un jeune adulte naïf, candide, prêt à aider son prochain, toujours affublé d'un sourire niais et limite crispant, mais déjà complètement acquis à la cause des Jesus freak, c'est à dire avec une vision biaisée et idéalisée de la réalité. Sa première rencontre avec Benno est d'ailleurs sa première confrontation avec le Vrai Monde, et déjà on sent venir une relation qui s'annonce pourrie de l'intérieur. Avec son regard bleu perçant et sa démarche à la fois hésitante et pleine d'entrain, Tore ressemblerait à un ange tombé du ciel (pour une fois le titre français est bien trouvé) qui s'en va découvrir le monde sur Terre, et qui suite à un coup du sort va se retrouver obligé de cohabiter avec son pire représentant de l'espèce humaine, Benno, ordure violente et sans aucun remord, parfaite incarnation du Mal. Entre un Tore heureux de s'être trouvé ce qu'il pense être une famille et un Benno qui voit en lui un parfait larbin soumis et sans aucune résistance, la relation entre les deux hommes, au départ amicale, va vite tourner à l'avantage de Benno. Et c'est là que se niche le malaise que peut provoquer le film. Si l'on ne peut qu'être révulsé et écœuré par le comportement de Benno, absolument irrécupérable et inhumain, l'empathie va immédiatement vers Tore, ne cherchant qu'à se faire aimer et à aimer. Mais le problème c'est que comme je vous le disais plus haut, Tore a déjà le cerveau conditionné et ne réfléchit plus en tant qu'homme avec sa dignité et son honneur, il agit en tant que serviteur du Seigneur et sa vision des événements en est complètement biaisée. Là ou n'importe qui verrait les agissement dégradants de Benno comme une humiliation, Tore les interprète comme une épreuve que Dieu aurait mis sur sa route. C'est cette acceptation du pire de la part de Tore qui provoque un malaise chez le spectateur. Comment conserver de l'empathie pour quelqu'un qui semble tout accepter sans broncher ni même à un quelconque moment émettre un début d'envie de se rebeller ? Il ne semble même pas se rendre compte de la cruauté de ses geôliers qui, après l'avoir forcé à ingérer des déchets alimentaires bouffés par les vers, le laissent pour mort sous sa tente, et lorsqu'il sort de l’hôpital, c'est pour retourner auprès de Benno, comme si de rien n'était. L'empathie se mue en pitié dans le dernier acte, et l'on se surprend à espérer que tout cela se termine très vite pour Tore, qui subira les pires sévices de la part de son bourreau avant de terminer son "voyage" là où il avait commencé, sur une aire d'autoroute.
C'est d'ailleurs ce coté un peu sado-masochiste de Tore qui a bâti, en quelque sorte la réputation du film (en dehors de ses qualités de mise en scène bien sûr), et c'est sur quoi la plupart des critiques "anti" basent leurs arguments, mettant en avant une complaisance malsaine de la part de la réalisatrice envers les sévices infligés à Tore. Alors autant vous prévenir quant au contenu du film, la tension va crescendo et la violence aussi. Le film est interdit aux moins de 16 ans, c'est totalement justifié, la violence psychologique et physique est difficilement supportable en deuxième partie de métrage (entre viols et torture, ça fait très mal à regarder), et même si d'autres films nous en ont montré plus et de manière beaucoup plus explicite et gratuite (et pour le coup ces films là étaient autrement plus complaisants dans leurs démonstration de la violence que Tore Tanzt, et là je pense à des films comme Martyrs, avec ses filles écorchées vives pour atteindre l'Au delà..moui, pourquoi pas...), on finit par épouser le point de vue de Tore qui espère dans son For intérieur que toutes ces "épreuves" ne sont que les prémices à un Meilleur qui ne devrait pas tarder à arriver. Ça aide, un peu, à faire passer la pilule.
Je parlais plus haut de la mise en scène. C'est du très beau travail et ce n'est qu'un premier film. Autant vous dire que c'est prometteur pour la suite de ses travaux. Posant sa caméra dans une espèce de no man's land à caravanes dans la banlieue grisâtre de Hambourg, Gebbe dirige de main de mettre cette histoire glauque et noire avec des acteurs impeccables, les deux acteurs principaux sont impressionnants en ordure finie et en grand dadais souffre-douleur, et si parfois la réalisatrice se laisse aller à la symbolique facile (oui, Benno est le mal, le tatouage représentant le diable dans son dos est bien là pour nous le rappeler), elle réussit à glisser ça et là de petites touches d'humanité et de poésie dans cette histoire de monstres humains, grâce notamment à la relation entre Tore et la belle-fille de Benno. Excellente idée aussi de faire sombrer son film dans la grisaille et le pâle au gré de la déchéance de Tore, pour finalement offrir un rayonnement lors de la "libération" de ses jeunes héros.
Bref : Descente aux enfers d'un Fou de dieu trop naïf et trop bon pour le monde, Aux mains des hommes nous fait découvrir une nouvelle venue dans la catégorie 'cinéastes à suivre de très près', et son film est un bijou noir et désespéré, doublé d'une vision désenchantée de l'Homme et de sa cruauté envers les siens. A ne pas mettre devant tous les yeux, la charge est parfois brutale, vous aurez été prévenus.
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