Genre : Polar noir
En 1999, des morceaux de corps humains sont retrouvés dans des sites d'exploitation de charbon aux quatre coins d'une province chinoise. L'inspecteur Zhang est chargé de l'enquête mais se fait tirer dessus lors de l'interpellation des suspects. Cinq ans plus tard, des meurtres sont à nouveau commis, liés à l'épouse de la première victime. Zhan, retiré de la police, tente de résoudre l'affaire en se rapprochant dangereusement de la veuve.
L’année dernière était sorti le film Touch of sin, réalisé par Zhang-Ke Jia, et déjà on pouvait sentir qu’un esprit de révolution rageur venait de se réveiller dans le cinéma chinois. Miroir peu flatteur d’une Chine gangrenée par tous les excès (argent, pouvoir, violence) mais film profondément humain, le métrage avait remporté le prix du scénario au festival de Cannes 2013. Cette année c’est au tour du film de Diao Yi'nan de sortir sur les écrans français et de raconter une tranche de vie chinoise, aux allures de polar noir comme une mine de charbon à minuit.
Diao Yi’nan a choisi de poser son décor loin des riches métropoles opulentes et grouillantes de vie, en se rapprochant au plus près des petites gens de la Province Chinoise, les travailleurs, et de leurs petites histoires et drames. Pas de patrons ni de riches exploitants dans ce film, mais plutôt des ouvriers, des teinturiers, des propriétaires de bar miteux et des policiers qui semblent avoir oublié tout code de conduite et de professionnalisme (surréaliste scène d'arrestation). Le décor n'est pas des plus joyeux, on ne sortira jamais de cette ville qui ne semble survivre que grâce à son commerce de charbon, et qui vit à deux à l'heure, au ralenti sous la neige. Et cette torpeur va être interrompue par une découverte macabre qui va ébranler toute la ville, à commencer par Zhang, policier divorcé et impulsif. Yi'nan dresse le portrait de personnages qui semblent éteints et endormis sous la neige, et que la sinistre découverte va réveiller. L'enquête va pousser Zhang a errer aux quatre coins de la ville pour remonter la piste jusqu'au tueur. L'enquête à proprement parler (celle qui se déroule en 1999) n'est pas particulièrement trépidante, elle sert surtout à introduire le personnage de la veuve qui sera au cœur de l'investigation en 2006, et elle se clôt de manière assez brutale et cynique, au cours d'une scène de fusillade à la fois surprenante et violente, et ne servant qu'à effectuer un bond en avant pour la deuxième partie du film et le retour d'un tueur.
Ellipse brutale, nous voici en 2006, on retrouve Zhang, loin de la Police, déchet alcoolique reconverti en ouvrier et qui au détour d'une conversation avec ses anciens collègues se retrouve embarqué dans une nouvelle affaire de meurtres impliquant une vieille connaissance : la veuve de la victime de 1999. Et là le vrai film commence. Polar noir comme le charbon où planent les influences de Hitchcock et des films de détective avec leur filatures et leurs suspects qui en savent trop pour être honnêtes, le film est une plongée dans un panier de crabes chinois, un théâtre sous la neige, avec des personnages qui évoluent dans une ville perdue de Mandchourie où le temps semble s'être arrêté depuis une éternité, étouffée sous la neige (aucune différence flagrante entre 1999 et 2006). Yi'nan filme ses flics et ses veuves noires comme des fantômes errants, traînant leurs craintes et leurs secrets entre bars miteux éclairés au néon flashy et patinoires nocturnes où tout le monde semble tourner en rond sans envie. On suit Zhang, qui semble redécouvrir le monde en suivant la veuve, qu'il soupçonne de ne pas totalement être honnête, au gré de son enquête qui le conduit sur des chemins dangereux. La relation qui se noue entre les deux personnages n'est pas forcément des plus originales (elle en fait que confirmer le côté manipulateur et dangereux de la femme) mais elle renforce le côté déséspéré et en perte d'humanité de ses protagonistes, prêts à tout pour se raccrocher à quelque chose de vivant et d'humain (la veuve fait souvent référence à sa condition de femme de mort-vivant). La mise en scène de Yi'nan s'adapte aux errances et au rythme de ses personnages, entre longs plans séquences et scènes faisant parfois basculer le film dans l'irréel (la poursuite entre Zhang et la veuve en patins à glace), aidées par des jeux de lumière tantôt blafards tantôt criards, ou cette rencontre à la fois poétique et glauque au somment d'une grande roue qui semble perdue au milieu de nulle part, illuminée par les ampoules multicolores
Une des conclusions que l'on peut tirer du film de Yi'nan, c'est qu'il n'est pas des plus optimistes et bienveillants vis à vis de ses compatriotes chinois. Aucun des personnages ne semble s'épanouir dans cette ville grise et mortifère (hors des grandes cités, pas d'espoirs de sortie ou de progrès ?) aucun avenir ne semble se profiler à l'horizon, et si Yi'nan ose quelques instant de burlesque et de poésie en fin de métrage avec son héros Zhang qui danse comme s'il était seul au monde sur la piste de danse ou les feux d'artifice égayant une reconstitution de meurtre, la fin abrupte du métrage semble confirmer l'idée que le film pourrait durer encore longtemps sans que rien en change et qu'il est nécessaire d'y mettre fin à un moment ou à un autre.
Le film m'a, par moment, fait penser au livre "Un Roi sans divertissement" de Jean Giono. Je me suis même demandée s'il n'a pas été influencé..? Surtout la scène avec les feux d'artifice...
RépondreSupprimer