Créée par Noah Hawley
Fargo, Minnesota.
Lester Nyygard (Martin Freeman), agent conseiller en assurance vit une existence minable, entre une vie professionnelle terne et un mariage qui l'est tout autant. Entre deux remarques assassines de sa femme, Lester rencontre par hasard Sam Hess, la petite frappe qui l'avait humilié au lycée et devenue depuis responsable d'une grosse société de transport de la région. Certaines choses ne changeant jamais, il se fait copieusement casser la gueule et finit à l’hôpital. Il y fait la rencontre de Lorne Malvo (Billy Bob-Thornton), énigmatique personnage qui, après un échange tout en subtilité, lui propose de buter son agresseur. Sans le savoir, Lester va mettre le doigt dans un engrenage de violence qui va vite dégénérer et retourner Fargo.
Le monde des séries télé est parfois étrange. Si l'on demande quelles sont les séries qui auront marqué 2014, il y a fort à parier qu'on se retrouvera encore avec la sainte trinité des "séries qu'il faut avoir vu pour ne pas passer pour un idiot" : Game of thrones ( les dragons, Tyrion Lannister, des incestes, etc...), House of cards (netflix, Kevin Spacey, 10 épisodes dispos tout de suite...) et bien évidemment True detective (HBO prod, 8 épisodes et un très joli générique). Trois productions d’intérêt divers, ne visant clairement pas le même public et trois arbres cachant la foret qu'est le reste des nouveautés de l’année. Passons rapidement sur la neuvième saison de 24 qui se repose beaucoup (trop) sur ses pires cliches conspirationnistes et anti-terroristes primaires pour découvrir LA pépite télévisuelle proposée par FX : Fargo.
Petit rappel pour ceux qui ne suivraient pas depuis le début:
Au commencement Fargo est un film des frères Coen réalisé en 96. On y découvrait un loser, Jerry Lundegaard, interprété par William H Macy, qui mettait au point un stratagème pathétique pour se faire de l'argent facilement : faire enlever sa femme par deux crétins pour pouvoir toucher la rançon réclamée au beau-père. Bien évidemment, rien ne se passait comme prévu, et tout finissait dans un bain de sang, le tout avec une Frances Mc Dormand, inoubliable en flic tenace et enceinte jusqu'aux dents. Portrait grinçant de personnages coincés dans leurs conneries et ne sachant pas se sortir de leurs galères sans s'en créer de nouvelles, le film est un chef d'oeuvre d'humour noir. Aussi lorsqu'en 2013 fut mis en chantier une série basée sur le film, on craignait le pire. Comment refaire en 10 épisodes ce qui tenait largement en 1h40 au cinéma ? Quel est l'intérêt ? Et puis on découvrit qu'au poste de producteurs exécutifs apparaissaient les noms de Joel et Ethan Coen. Tout de suite ça rassure. Il ne restait plus qu'à attendre. On a bien fait de patienter.
At the request of the survivors, the names have been changed. Out of respect for the dead, the rest has been told exactly as it occurred
La chose essentielle a savoir sur la série avant de s'y lancer, c'est qu'elle n'est absolument pas une adaptation à proprement parler du film, on n'y retrouve pas l'arc narratif principal (la magouille du héros et les conséquences qui suivent) ni le personnage de la flic jouée par Mc Dormand, même si par certains aspects, notamment son opiniâtreté et sa force de caractère, on la retrouve dans le personnage de Molly, elle aussi agent de police. La série a son propre fil rouge (la mort de la femme de Lester) et ne partage avec le film que le cadre de la ville de Fargo. A vrai dire, même si les deux histoires ne se déroulent pas à la même époque (96 pour le film et 2006 pour la série), le coté intemporel des événements déclencheurs (enlèvement pour l'un et meurtre pour l'autre) donnent l'impression que le récit de la série pourrait très bien prendre place à la même époque que celui du film, mais en parallèle. Ce choix narratif est une idée à la fois casse gueule (les fans de la première heure pourraient ne pas comprendre pourquoi la série s'appelle Fargo) et brillante (mine de rien ça laisse une porte grande ouverte à une infinité d'histoires). Une fois ce concept validé, la série peut être vue comme elle, est à savoir un chef d'oeuvre, le terme n'est pas trop fort, à savourer en dix épisodes, et cela pour plusieurs raisons.
Une écriture simple et complexe.
Comme je vous le disais plus haut, les frères Coen ne se sont pas tenus trop éloigné de l'adaptation de leur film, et cela se ressent dans chaque épisode, dans chaque ligne de dialogue et chaque scène. Si de par le format cinématographique il leur était nécessaire de faire tenir une intrigue sur une durée que l'on peut qualifier d'impartie (qu'il dure une ou deux heures, le cadre cinématographique impose une résolution au film lorsqu'arrive la fin), ici les scénaristes ont dix heures pour partir de rien (façon de parler) et finir en apothéose lors du season finale. Sur ce point, Fargo est une extraordinaire réussite. Le premier épisode dresse le portrait de tous ses personnages, les situant les uns par rapport aux autres, ne charge pas inutilement leur background, et les fait se rencontrer au gré de leurs ennuis. Le fil rouge du récit c'est Lester, victime en puissance, soumis à sa femme et soumis tout court, qui se fait rétamer par son ancien bourreau de lycée et qui au détour d"une salle d'attente d’hôpital fait la connaissance de Malvo, personnage mystérieux et omniscient qui lui propose de régler son compte à son agresseur. Et c'est cette rencontre qui va dynamiter le récit. Dès lors que Malvo va s'acquitter joyeusement de sa tâche (hilarante scène de repérage de Malvo sur sa victime), et au passage retourner le cerveau de Lester en mode "arrête de chouiner, tu me l'as demandé", la ville de Fargo va se réveiller, tous les personnages vont être entraînés dans une spirale de violence, qu'elle soit physique ou psychologique, avec Lester le premier qui, dans un excès de virilité mal gérée car trop longtemps refoulée, va tuer sa femme et causer la mort du sherif local via Malvo. Introduction des policiers et début de l'enquête qui ne trouvera sa conclusion que dans le dernier épisode. Entre le 1x01 et le 1x10, attendez vous à des dialogues et des échanges tout en justesse et parfois faussement simples, où l'on retrouve le goût du dialogue et de la réplique qui claque, généralement sortie de la bouche de Lorne Malvo, et à laquelle on repense en ricanant tellement elle fleur bon la beauferie à l'état pur ( "Don't you Miss Hess' me, i was picking your pubes out of my teeth twelve hours ago" débité par une strip-teaseuse contrariée). Les personnages ne stagnent jamais, évoluant en bien ou en mal au gré des événements. En bien, lorsque Molly commence à flairer l'embrouille et se met en tête de coincer Lester à tout prix, quand bien même elle est la seule à être convaincue de sa culpabilité, en mal à l'image de Lester, passant du statut de victime souffre douleur et maladroit à manipulateur sans foi ni respect, que la peur de finir en taule pousse à commettre les pires actions (la conclusion du 1x09 est glaçante et achève d'imposer Lester comme un personnage irrécupérable et ignoble). Entre ces deux extrêmes on trouve toute une ribambelle de seconds couteaux, tous utiles à l'histoire (chose assez rare pour être soulignée) qu'ils soient agents du FBI ou simple tenancier de Diner, et la palme revient sans conteste au personnage déjà mythique de la série : Lorne Malvo. Personnage énigmatique faisant son apparition dès le début de la série, il est présenté comme une sorte de tueur à gages sans aucun scrupule, prenant un certain plaisir à causer mort et souffrance, et qui semble aussi trouver un certain réconfort à regarder le monde autour de lui s'écharper, en simple spectateur fouteur de merde (la scène au motel avec le réservoir). Au fil de la série on découvre qu'il est un tueur à gage redoutable et redouté, froid et calculateur, qui semble tout savoir sur tout le monde, à commencer par leurs faiblesses, et qui apparaît comme un personnage aux limite de l'inhumain au fur et à mesure du récit. Roi de la réplique finale avec une philosophie et une conception de la Vie très personnelle ("There are no saints in the animal kingdom. Only breakfast and dinner"), il est un des personnages clés de la série. En fin de saison il devient la terreur de Lester qui redoute de le voir débouler derrière lui, et son aura maléfique hante chaque plan du dernier épisode, et c'est Molly qui au détour d'un dialogue osera parler de Lorne comme d'un démon à forme humaine ("This man will never stop. If it's a man").
" You're an idiot; good news, i'm taking over"
Have you been a bad bad boy, Lester ?
On pourrait parler pendant des heures de la qualité d'écriture de la série, qui arrive à rendre passionnante un échange entre deux personnages sur une omelette ou une scène d'interrogatoire tendue comme une corde à piano, mais ce n'est pas tout d'avoir de bons dialogues, encore faut-il avoir de bons comédiens. Et c'est encore un sans faute de ce coté-ci. Des premiers rôles aux seconds couteaux, ils sont tous parfaits. Martin Freeman, entre deux Sherlock offre au personnage de Lester sa bonhomie en doudoune, passant de timoré et craintif à raclure intégrale en deux mouvements. Personnage toujours sur la corde raide, Lester ne pouvait pas trouver meilleur interprète que Freeman. Autre personnage clé de l'aventure enneigée : Molly, femme flic interprétée par Allison Tolman. Elle arrive à retranscrire toute la frustration et la force de son personnage en l'espace de quelques scènes chargées en émotion (son ultime confrontation avec son supérieur est à la fois émouvante et frustrante). On y retrouve également Colin Hanks, fils de Tom donc, Keith Carradine en père protecteur mais méfiant et Bob Odenkirk, inoubliable Saul de Breaking Bad, venu jouer ici le shérif compréhensif mais pas trop. Mais la cerise sur le gâteau s'appelle Billy Bob Thornton. Lui confier le rôle de Malvo a été une idée de génie. Amaigri et affublé d'une coupe à rendre jaloux Jean Claude-Dusse ( ce côté tueur létal coiffé n'importe comment est une réminiscence troublante de Bardem et sa coupe playmobil de no country for old men), il interprète de manière magistrale ce personnage machiavélique, aux sourires aussi dangereux que ses armes.
- Nobody likes being watched while they eat.
- Some people do.
- What people ?
- Mormons.
Based on a true story
Dernier point et pas des moindres : La mise en scène. A la fois classique et classieuse, il est toujours rassurant de voir que l'on peut encore regarder des séries qui donnent l'impression de regarder un film sur petit écran. Si on y retrouve l'esprit du film avec ces grandes étendues enneigées du Minnesota, et ses routes de nuits éclairées par des phares de voiture en cavale, on est très vite happé par le rythme (ou le non rythme, comme vous voulez) de la série, parcouru à intervalle régulier de sursauts de violence, brillamment mis en scène (l'assaut du SWAT dans le 1x06) quand ils ne se permettent pas des idées de malade, à l'image de ce plan séquence dans le 1x07 mettant en scène une fusillade dans un immeuble dont on verra rien mais dont on entendra tout, la caméra restant en dehors du building et suivant uniquement les fenêtres derrière lesquelles se déroule l'action, le tout finissant par une défenestration brutale. La série n'oublie cependant pas les clins d’œil au film original, et ce jusque dans son plan final, petite bulle de paix après un déchaînement de violence.
Que dire de plus, pas grand chose si ce n'est qu'après les enquêtes aux frontières du glauque de True Detective et les complots les seins à l'air de Game of thrones, si vous recherchez une série de qualité, vous pouvez vous jeter sur Fargo les yeux grand ouverts, rares sont les séries à faire l'unanimité en si peu de temps. Succès largement mérité, combinaison heureuse de talents d'écriture et d'interprétation, et grosse impatience du coup, pour la saison 2. Si les premières rumeurs sont vraies, on partirait sur une anthologie, avec pour chaque saison un nouveau casting et une nouvelle histoire. Si c'est du même niveau que la première saison, je valide.
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