13Cine

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dimanche 27 avril 2014

States of Grace

States of grace de Destin Cretton
Genre : tranches de Vies
Sortie le 23 avril 2014


Tout auréolé d'un gros bouche à oreilles ultra positif suite à sa projection aux festivals de Deauville et Locarno, voici le film States of Grace qui sort en catimini pendant les vacances de Pâques, encastré entre les grosses comédies grasses De France et les Rio 2 sans intérêt.  Alors autant je ne suis pas particulièrement fan du film indé tendance Sundance approved, avec toute la hype que le label Sundance peut engendrer, autant lorsqu'un film labellisé " Cinéma indépendant US " aussi réussi arrive sur les écrans, je me dis qu'il serait vraiment dommage que vous le ratiez. On en ressort avec le même sentiment qu'à la sortie de The Spectacular now sorti en début d'année, la même impression d'avoir vu un film à la fois simple et complexe, tendre, terriblement dur et réaliste quant aux problèmes que rencontrent les protagonistes (l'alcoolisme adolescent dans le premier, la reconstruction après une enfance détruite dans States of Grace). Alors certes le film n'est pas exempt de défauts minimes, mais il réserve quelques beaux moments de grâce et d'humanité qui emportent le morceau.

Le film raconte les déboires de Grace qui encadre des enfants dits à problèmes, de tout âge, et qui voit un jour arriver Jayden, adolescente mystérieuse et agressive et qui va faire remonter chez Grace des souvenirs qu'elle n'était pas encore prête à affronter. La grande qualité de ce film réside dans l'absence totale de jugement ou de pathos envers les personnages du film, qu'ils soient éducateurs ou adolescents. Si l'on devine que la plupart des enfants qui sont dans cet établissement y sont arrivé suite à la destruction de leur foyer ou pire,  à de mauvais traitements et d'abus, à aucun moment la tristesse ou l'apitoiement ne se font ressentir. Ils sont dans cet endroit pour se reconstruire, pas pour s'apitoyer sur leur sort. Encadrés par toute une équipe d'éducateurs sur-motivés et compatissants, ils réapprennent à vivre en communauté, à se respecter et à se reconstruire avant de partir et retourner dans le monde extérieur. Chose étrange, il arrive qu'à certains moments on ait plus l'impression de regarder un documentaire qu'une fiction, avec la caméra qui se promène d'une chambre à l'autre. On fait la connaissance de Grace, éducatrice toute dévouée à ces jeunes, son fiancé Mason, et le nouveau, Nate qui découvre en même temps que le spectateur tout ce microcosme avec ses règles et ses petits instants de joie et de peine. Car tout n'est pas rose, Et l'arrivée de Jayden va tout dynamiter. Enfant abusée, elle va mettre Grace face à ses propres problèmes, qu'elle ne peut plus cacher à Mason, patient mais pas trop. Grace a beau vouloir aider tout le monde, elle en oublie qu'avant d'être une aide pour les autres, on devrait toujours commencer par soi, au risque de s'éloigner des gens qui nous entoure et supporte. C'est dans la relation Grace-Jayden que pèche un peu le film d'ailleurs, rajoutant à Grace un passé trouble qui n'était pas absolument nécessaire, on peut être assistant social pour enfant à problème sans forcément avoir été abusé. Heureusement pour nous, l'optimisme et la volonté de Grace reprennent très vite le dessus, et elle accompagne Jayden dans son envie de surpasser ses peurs et la crainte de son père. Si le sujet du film n'est pas des plus réjouissants, c'est encore une fois le traitement qui fait la différence. Chaque situation de crise, chaque conflit, qu'il oppose les enfants entre eux ou aux adultes, peut être désamorcé avec de l'humour, de la volonté et de la légèreté, à l'image de la partie de base-ball qui dégénère en baptême du feu pour Nate, peu habitué aux conflits. Même les situations un peu too much en fin de film (la visite au père de Jayden) sont désamorcées par une ironie et un humour bienvenus. 


SI le titre original du film était Short term 12, nom donné à l'établissement où sont encadrés les enfants, le titre final, States of Grace donc, convient beaucoup mieux au métrage. Non seulement il fait assez intelligemment référence aux différents états d'esprit que traverse Grace tout au long du film, mais il fait aussi référence aux différents états de grâce que traverse le film. Entres purs moments d'émotion (le discours de Mason chez ses parents adoptifs), instants de tendresse et de compassion (la petite girafe de Sammy) et moments indescriptibles de bonheur et d'énergie avec le traditionnel sprint matinal de Sammy sur la pelouse du centre, avant de finir, hilare, dans les bras de Grace et Mason. 


Si le fond et la forme du film contribuent beaucoup à la réussite du film, on ne peut pas passer sous silence la grosse révélation du métrage, Brie Larson. Déjà aperçue dans Scott Pilgrim, et surtout dans The Spectacular Now, où elle jouait tout en subtilité le rôle le plus ingrat du film. Dans States of Grace, elle illumine chaque scène, chaque plan, parfaite dans ce rôle d'éducatrice volontaire et toute dévouée aux enfants, compréhensive mais sévère quand c'est nécessaire, enfant grandie trop vite et mère de substitution pour tous les jeunes. Autour de Brie Larson on retrouve John Gallagher Jr (Newsroom) en fiancé et collègue de Grace, aussi patient et compréhensif avec elle qu'avec les enfants (émouvante scène de rap exutoire), et Beatrix Stephanie, échappée de Brooklyn 99

C'est cet assemblage de petits instants de bonheur, de joie et de tristesse, d'humanité qui rendent le film très attachant. On en ressort avec un grand sourire (la dernière scène est un concentré d'optimisme et de bonheur) et avec l'impression d'avoir eu la chance d'avoir vu un film rare et lumineux. 



mardi 15 avril 2014

Computer chess

Computer chess de Andrew Bujalski
genre : g33k power
Sortie le 9 avril 2014



Lors de la sortie de You're next en septembre dernier, je vous avais parlé du mouvement mumblecore, mouvement dont était issu le réalisateur. Tendance cinématographique arty visant à produire des films à moindre coût, avec les moyens du bord, elle a permis à quelques réalisateurs de se faire connaître dans des festivals tels que SXSW, ou bien encore Sundance. Parmi ces réalisateurs, on trouve Andrew Bujalski, trois films à son actif, et dont le dernier est désormais visible au Cinéma. Chose étonnante, plutôt que de proposer une fiction contemporaine comme ses camarades, Bujalski nous propose un voyage dans le temps, et plus précisément dans les années 80. 
Direction donc, le début des années 80, dans un motel minable au fin fond des Etats-Unis, où chaque année se déroule une compétition de développeurs de jeux d'échec sur ordinateur. Rassemblement de geeks à tendance no life ++ avec une petite touche de paranoïa (une bien belle époque pour ça, les 80's aux USA), cet événement doit composer cette année avec un autre rassemblement dans le même motel, une thérapie de groupe pour couples en difficulté. Ou comment faire cohabiter deux univers qui ne devraient jamais se rencontrer.


C'est sur ce postulat que Bujalski va mettre en scène un docu-fiction qui fleure bon le kitsch et le rétro. Pour cela il a recours à de bonnes vieilles caméras video analogiques noir et blanc, conférant un style vintage à l'ensemble du film. Filmant au plus près les participants de ce concours improbable, compétition d'égos et de PC oldschool, le style documentaire ne laisse qu'à de très rares occasions place à la fiction, lorsque par exemple les participants cessent de s'affronter et regagnent leurs chambre, ou celle de leur voisin d'ailleurs. Et c'est cet aspect parfois surréaliste qui donne un coté touchant à l'ensemble du film. Le geek, par définition et dans les pires clichés, est souvent raillé pour son côté extrême dans ses passions et ses avis. Prêt à s'enflammer pour un rien dès qu'on ose critiquer sa configuration de PC ou son côté je sais tout, dans le film de Bujalski c'est un personnage qui semble avoir toute la sympathie du réalisateur qui, s'il ne rate jamais une occasion de montrer le coté franchement asocial et sexuellement éteint du Nerd hard core (et il y a de beaux spécimen dans ce tournoi, grosses lunettes et chemise rentrée dans le futal inside), finit toujours pas le définir au final comme une personne qui, bien qu'ayant souvent  l'impression de passer son temps avec des gens qu'il considère comme lui étant inférieurs ou inintéressants, il n'en recherche pas moins la reconnaissance. Un des plus beaux exemple du film est Pete, jeune geek fasciné par l'IA et qui ne trouvera le sommeil que lorsqu'il aura triomphé de la machine, et l'aura montré au monde entier. Autour de cette communauté de jeunes no life nous découvrons d'autres personnages tout aussi perdus mais plus attachés à des sujets plus terre à terre, à l'image de l'impayable Mr Papageorges, membre du jury de la compétition et sans chambre fixe, looser en chemise col pelle à tarte qui semble vivre l’événement de très loin. 


A l'opposé de cette bande de futurs Bill Gates dissertant parfois très justement sur ce que deviendront plus tard les PC et l'utilisation avec excès qu'il en sera fait, on trouve la deuxième convention : l'aide aux couples en difficulté. Son intérêt est assez limité dans le film, elle ne sert qu'à mettre en exergue le coté communautariste et exclusif des participants, et provoquer quelques rires lorsque ces deux univers se rencontrent, avec Pete par exemple, gringalet binoclard embarqué malgré lui dans un plan à trois très MILF avant l'heure ( " le un veut devenir deux, le deux veut ne faire qu'un, et le deux attend le trois"...tout un programme dans cette mantra baragouinée par une quinquagénaire et son mari) dans une chambre d’hôtel creepy glauque
Même si au final on se contrefiche de savoir qui a gagné, il en ressort l'impression d'avoir assisté à une exhumation (que l'on sait fausse néanmoins) d'une tranche de vie des début de l'Informatique, où l'on prédisait qu'un jour l'IA pourrait devenir autonome et plus intelligente que l'homme, où les PC pesaient quinze tonnes et où un ordinateur capable de jouer aux échecs apparaissait comme le Saint Graal de la technologie. Le grand écart avec la technologie actuelle n'en est que plus flippant.


lundi 14 avril 2014

Noé

Noah de Darren Aronofsky
genre : fresque et fantaisie
Sortie le 9 avril 2014



Depuis son dernier film en date, Black Swan, on était resté sans nouvelles de Darren Aronofsky. Entre fausse rumeurs et vrais loupés (il fut rattaché aux projets Wolverine : le combat de l'immortel avant que Mangold ne s'en occupe et Robocop, récupéré au final par Padilha), on se demandait comment le réalisateur des cultissimes Pi et Requiem for a dream allait rebondir. C'est chose faite et c'est en salle depuis début avril. Adaptation de la vie d'un des personnages emblématiques de la Bible, Noé, le film se pose en fresque à la fois intimiste et spectaculaire, tout en n'oubliant pas de prendre quelques libertés avec l'oeuvre originale, si l'on peut l'appeler ainsi. Passons outre les polémiques soulevées pas le film, notamment dues au contenu du métrage (pour plus d'explications sur cette affaire c'est par ici) et concentrons nous sur le film en lui même. 
Avant de commencer, faisons un petit récapitulatif de ce que l'on sait presque tous de l'histoire de Noé. Homme descendant de Adam, marié et père de trois enfants, il est choisi par Dieu qui, excédé par les hommes et leurs égarements, décide de les noyer sous un déluge et demande auparavant à Noé de construire une Arche dans laquelle se réfugieront sa famille ainsi qu' un mâle et une femelle de chaque espèce vivante sur terre. Après le déluge purificateur et 40 jours de pluie, l'Arche échoue sur le Mont Ararat et Noé libère les animaux pour qu'ils puissent repeupler la terre.


Voici les grandes lignes de l'histoire, qui auraient pu remplir un film épique en bonne et due forme. C'est compter sans le zèle d'Aronofsky qui y ajoute absolument tout ce qui peut y être ajouté, un méchant pour commencer, plusieurs histoires d'amour, des anges déchus, et Anthony Hopkins. Si le scénario a de quoi faire hurler n'importe quel religieux extrémiste (cf: les polémiques citées plus haut), on ne peut pas dire que cela choque beaucoup en fin de compte. Si certains aspects du scénario paraissent effectivement cousus de fil blanc et ne devant leur existence qu'à un besoin de faire avancer l'intrigue et de relancer l'action en deuxième partie de métrage (la romance de Cham, tuée dans l'oeuf et moteur secondaire de l'intrigue), d'autres sont sous-exploités et plus frustrants, à l'image des personnages de ToubalCain, antagoniste complet de Noé, qui ne semble être là que pour mettre des bâtons dans les roues de ce dernier et prendre la place du vil tentateur, corrupteur d'un des fils de Noé, ou bien encore Mathusalem, le grand-père de Noé, interprété par Hopkins qui cachetonne tranquille pépère, et présent pour filer un coup de main à son petit-fils pour bâtir l'Arche ou à quatre pattes dans les bois pour se faire un panier de baies sauvage avant le Déluge. Ajoutez y des Anges déchus venus aider Noé pour la manutention et vous aurez un aperçu de la première heure. Le film peut d'ailleurs se diviser en trois parties distinctes : la première que l'on pourrait qualifier d'antédiluvienne, durant laquelle Noé, hallucinations à l'appui, reçoit les signes et consignes de Dieu concernant la mise en place de l'Arche et la convoitise qu'elle créé chez les hommes sauvages, la deuxième, plus courte car concentrée sur le déluge et la mise à flot de l'Arche et enfin la troisième, l'exode sur les mers, où l'on découvre la face cachée de Noé, plus sombre et moins clairvoyant qu'il ne l'a laissé croire. C'est cette troisième partie qui tire un peu en longueur, le spectaculaire de ce qui a précédé constituant en soi un climax, et les tensions du dernier acte sont très (trop) vite évacuées, on y reviendra plus tard d'ailleurs.



Là ou le bât blesse par contre, c'est dans la mise en scène d'Aronofsky. On en avait déjà eu un aperçu dans Black Swan : la finesse et la subtilité, ce n'est pas son point fort. Lorsque Portman voulait devenir le Cygne Noir, Aronofsky ne faisait pas de chichis, il nous la montrait en train de métamorphoser en cygne. Subtilité, toujours. Or, les aventures de Noé, de par leurs statut de récits bibliques à forte teneur en Symbolique, sont une mine pour Aronofsky. Et il n'y va pas par quatre chemins. Entre la colombe de la paix (présente dans les récits originaux, il faut le savoir) qui passe au ralenti lors d'une réconciliation entre les personnages, et le sang de la terre que foule Noé, Aronofsky se lâche, jusqu'au dernier plan final, avec un arc en ciel irradiant l'écran au dessus du premier mariage de l'histoire du nouveau Monde. Aronofsky alterne entre bonnes idées de mise en scène (l'arrivée des oiseaux est aussi spectaculaire qu'insérée intelligemment dans le récit) et matérialisations de concepts mythologiques pas toujours heureuses. Et parce qu'une image vaut mieux qu'un long discours, voici le croisement improbable entre un Transformer et un rocher volcanique.

                                                          ceci est un ange déchu


Autre point noir, Aronofsky se repose beaucoup (trop ? ) sur l'ellipse. Si elle est plutôt bienvenue dans la première partie (les Transformers aident Noé à construire l'Arche en un temps record, on arrive assez rapidement au clou du spectacle, du coup), elle frôle parfois l'incohérence dans le dernier acte, où les neuf mois d'une grossesse pas heureuse semblent filer à une vitesse record, neuf mois durant lesquels Noé ne réalise absolument pas qu'il y a un passager clandestin. Une Arche, pas Versailles...
Si l'on peut trouver couillu le choix de mettre en scène un récit biblique avec un personnage finalement assez peu représenté au Cinéma, et si l'on ne cherche pas après le film à pointer du doigt toutes les incohérences et raccourcis vis à vis du matériau original (allez sur wikipedia, on se perd dans les dates et les personnages), le film arrive à jongler assez sobrement entre grandes envolées épiques (le déluge est spectaculaire et violent, les anges étant aussi de farouches gardiens qui dégomment de l'homme par paquet de douze) qui laissent entrevoir une réelle capacité chez Aronofsky à filmer des blockbusters (son Wolverine aurait eu de la gueule à mon avis) et ambiances plus intimistes, avec les discussions à fond de cale dans le dernier acte. On attend juste un peu moins de lourdeur dans la mise en scène et l''illustratif, un beau livre d'images de fin du monde ne fait pas encore un film.

vendredi 4 avril 2014

Her

Her de Spike Jonze
Genre : comédie dramatique
Sortie le 19 mars 2014



Découvert par le grand public en 1999 avec le surprenant et délirant Dans la peau de John Malkovich, Spike Jonze, qui officiait avant en tant que metteur en scène de clip, pour Bjork par exemple,  n’est pas ce qu’on pourrait appeler un stakhanoviste de la caméra. Quatre films à son actif, le premier Being John malkovich,donc, ensuite vient Adaptation avec Meryl Streep et, il y a déjà quatre ans, l’adaptation cinématographique de l’œuvre de Maurcie Sendak  Where the wild things are, Max et les maxi monstres en français. Si dans son quatrième film, Her,  on retrouve quelques thèmes chers à Jonze (des gens ordinaires à qui il arrive des choses extraordinaires, pour n’en citer qu’un), on se rend très vite que l’on est face au film le plus lumineux et optimiste de son réalisateur, pour ne pas dire le plus humain. 


Dans un futur pas si lointain, nous faisons la connaissance de Théodore (Joaquin Phoenix, tout en retenue et arborant une belle moustache), en instance de divorce et employé dans une société qui propose de rédiger des lettres d’amour / remerciement / autre à la place des gens qui auront payé pour ce service.  Entre soirées remplies de solitude, de dirty talk téléphonique et de jeux vidéo next gen, Théodore traîne son spleen dans la métropole froide qu'est Los Angeles. Jusqu’au jour où il acquiert une OS, Samantha, et c’est le début d’une relation hors norme. 
Si le sujet pouvait laisser sceptique et entrevoir un film glauque et déprimant (on parle quand même d’un être humain triste comme un teckel qui s’entiche d’une IA qu’il ne verra jamais), le film de Jonze se pose en parfait contrepoint de cette hypothèse. Les premières scènes placent immédiatement le contexte. L’action a beau se passer dans un futur proche, on n'a aucun mal à imaginer que l’histoire pourrait très bien prendre place de nos jours.  Open spaces froids et désincarnés,  foules anonymes clouées à leurs smartphones,  et styles vestimentaires rétro. Et dès lors que l’on fait la connaissance de Théodore, employé sans éclat, solitaire mais pas seul, l’empathie se créée immédiatement. Jonze arrive dès le début à montrer du doigt le mal de la société moderne : la Solitude. Solitude sociale (rames de métro remplies de foules silencieuses), solitude sexuelles (dirty talk comico-pathétique au téléphone),  et servitude aux nouvelles technologies avec ces jeux vidéo qui insultent le joueur.  Et dès que Théodore fait la connaissance de Samantha, tout ce monde froid et désincarné vole en éclat. Car Samantha va réveiller Théodore, au sens propre comme au figuré et découvrir, elle aussi, un nouveau monde, Samantha étant une OS en constante évolution et construction, avec une soif de connaissance quasi infinie. Dès qu’elle entre en scène, le film devient alors lumineux et plus chaleureux, éblouissant comme un soleil qui aurait toujours été présent mais que Théodore aurait fini par oublier (cf : la scène à la plage, ou Théodore court dans les escaliers du métro pour débouler, ébloui, sur une plage bondée). Sortant le personnage principal d’un coma social dans lequel il s’était trop confortablement installé, Samantha va lui faire redécouvrir le monde, et réveiller des sentiments qu’il ne pensait plus pouvoir connaitre. Et c’est ce thème du retour à la vie et l’amour qui fait doucement glisser le film dans la catégorie des feel good movies.  Samantha a le bonheur et l’euphorie communicatifs et Jonze met en scène des scènes remplies de joie et de complicité entre un homme et son OS, à l’image de la séquence où Théodore se fait balader en aveugle par Samantha dans la ville redevenue soudainement pleine de vie, débordante de couleurs et d’énergie. C’est elle qui va également supporter Théodore dans épreuve de la clôture de son divorce, et le pousser à faire son deuil de la relation avec sa femme. La complicité entre Théo et Sam est telle que l'on oublie parfois qu’elle n’est qu’un programme, uniquement là pour accompagner son utilisateur.  Bercé par la bande originale composée par Arcade Fire, le film pourrait ne jamais se finir et laisser Théodore finir ses jours avec Sam, entre disputes et réconciliations, entouré de son amie Amy et de son collègue marié, compréhensifs et tolérants . Mais en début de dernier acte, un retournement de situation va très justement changer la donne et faire éclater en morceaux la romance du personnage principal . En un sens la révélation n’en est pas une, elle fait même preuve d’une certaine logique, mais preuve qu’encore une fois l’empathie et l’identification a fonctionné, car à l’instar de Théodore on accueille la nouvelle avec une certaine tristesse. Jamais une mise à jour d’un programme n’aura été aussi émouvante. Et si la voix de Samantha s'éteint en fin de métrage, c'est pour mieux laisser Théodore s'assumer seul, faisant la paix avec son ex femme et se rapprochant de son amie Amy, elle aussi amie avec une OS, pour la retrouver sur le toit d'un immeuble à attendre qu'une nouvelle journée commence. 
Comédie romantique ou fable remplie de poésie urbaine, le film de Jonze insuffle une bouffée d'air frais et d'optimisme, à la fois tendre et cruel, idyllique mais toujours juste dans sa description d'une relation amoureuse sincère mais impossible, qu'elle puisse inclure un homme, une femme ou une IA candide et naive.

Le petit cadeau qui va bien

mercredi 2 avril 2014

Real

Real de Kiyoshi Kurosawa
Genre : fantastique
Sortie le 26 mars 2014


Deuxième film de Kurosawa en moins d'un an après le diptyque Shokuzai, il permet au réalisateur de revenir à un des genres qu'il affectionne le plus, le fantastique, auquel il ajoute quelques thèmes qui lui sont chers comme la culpabilité et les relations humaines, qu'elles soient sentimentales et / ou destructrices.  Kurosawa opte ici pour un fantastique aux allures d'anticipation, de par les dispositifs employés par les personnages pour communiquer. Adaptation du roman A Perfect Day for Plesiosaur de Rokuro Inui, le film raconte comment Koichi, jeune tokyoïte, tente de réveiller sa dulcinée Atsumi, dessinatrice de mangas, plongée dans un profond coma après une tentative de suicide, en utilisant une machine capable de relier par l'esprit deux individus proches. Entre visions d'effroi et culpabilité, Koichi va tout tenter, quitte à perdre pied avec la réalité. 
Le thème de la machine à rêve a déjà été maintes fois utilisé au Cinéma et dans des œuvres toutes plus différentes les unes que les autres. Au hasard Paprika de Satoshi kon (une des meilleures illustrations en animation de ce que peut être un rêve ou un cauchemar), The cell de Tarsem Sigh et ses visions de cheval découpé en lamelles, ou bien encore dans un registre plus récent Inception de Christopher Nolan. Mais contrairement à ces films qui misent beaucoup sur le côté spectaculaire que peuvent avoir les rêves et pensées de tout un chacun, le film de Kurosawa offre une vision plus réaliste, plus ancrée dans la réalité, et c'est d'ailleurs ce qui fait marcher le récit, du fait que Koichi ne parvienne plus à discerner le réel de ce qui ne l'est pas. Et même si Kurosawa se permet parfois quelques petits effets horrifiques avec les apparitions des dessins de Atsumi dans le réel ou les visages fantomatiques avec l'enfant trempé, on finit comme Koichi par se demander dans quel niveau de réalité se passe l'action. Le fantastique discret est ici beaucoup efficace au vu du sujet, il est avant tout question d'un homme amoureux qui souhaite retrouver / réveiller sa compagne, compagne qui semble assez distante et peu encline à revenir, mais tout devient très clair en milieu de métrage, grâce à un joli retournement de situation.


Et oui, le film de Kurosawa est un film à twist. Je ne vais pas vous le spoiler mais il fait partir le film dans une autre direction, à base d'enquête sur des secrets d'enfance enfouis sur une île et de culpabilité enfantine. D'ailleurs il faut l'avouer la deuxième partie est beaucoup plus rythmée que la première qui prend parfois trop son temps pour nous montrer ce couple qui communique par connexions intermittente. La deuxième partie est d'ailleurs beaucoup plus explicative, on comprend d'où viennent les gens sans visages et le petit enfant trempé, et fait apparaître l'animal cité dans le titre du roman, un plésiosaure donc, représentation monstrueuse d'une culpabilité qui ronge le personnage principal. 
Si le film arrive assez facilement à nous faire croire a cette histoire de rêve partagé et d'amour au delà de la mort, on pourra reprocher à Kurosawa de parfois insister lourdement sur la symbolique de la Mort, le Grand Départ (le bateau qui emmène les morts, pas besoin de vous faire un dessin), et de se permettre quelques petits raccourcis bien pratiques mais qui ne sont jamais vraiment exploités (comment la toubib arrive t-elle à interpréter le visage inexpressif d'un des personnages principaux ? ). 
En comparaison avec son précédent métrage Shokuzai, Real apparaît cependant comme une oeuvre plus lumineuse et optimiste, elle partage avec Shokuzai le thème de la culpabilité cher à Kurosawa et il faudra par contre être patient avec le film, la deuxième partie du film vaut le coup d'attendre une heure avant le retournement de situation.