13Cine

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samedi 5 juillet 2014

Le conte de la princesse Kaguya

Kaguya-Hime no Monogatari de Isao Takahata
genre : Drame
Durée : 1h47
Sortie le 25 juin 2014


Dans une bambouseraie de la campagne japonaise, un vieil homme trouve un jour un roseau lumineux. en s'approchant il y découvre une enfant minuscule qu'il ramène chez lui afin de la montrer à sa femme. à peine rentré la fille commence à grandir à vue d’œil. Ils décident de l'élever et suite à quelques péripéties qui leur rapporte de l'or, le vieil homme souhaite emmener sa princesse du roseau pour qu'elle ait une existence digne de son rang de princesse. Mais loin de tout celle-ci s'ennuie, entre traditions restrictives et défilés de prétendants. 


Petit instant culture générale. Savez vous qui est Isao Takahata, à part bien sûr être le réalisateur du film dont on va parler ci dessous ? Pour faire concis, on va le présenter comme un maître de l'animation japonaise, qui a fondé le studio Ghibli avec un autre grand monsieur de l'animation : Hayao Miyazaki, qui vous a fait pleurer comme des gosses avec son dernier film Le vent se lève. Si l'on ne connaît pas forcément toute la bio du Monsieur et son travail pour la télévision avec Miyazaki (les deux ont oeuvré sur Edgar de la cambriole, Lupin III en VO) ou son passé à la Toei animation, la plupart de ses réalisations au Cinéma ont été diffusées en France et sont de même importance dans l'histoire de l'animation japonaise que celles de son confrère Miyazaki. Dans le désordre citons Horus, prince du soleil (1968), Goshu le violoncelliste (1982) et plus récemment des grands films comme Le tombeau des lucioles (1988), film poignant sur l'enfance sacrifiée en temps de guerre, Pompoko (94) récit à sous texte écologique opposant hommes et tanukis défenseurs de la nature en danger et surtout Mes voisins les Yamada (99), tranches de vie contemporaine. On pourrait facilement opposer les deux styles bien différents des deux auteurs, deux écoles et deux façons de raconter des histoires, mais ce n'est ni l'endroit ni le moment. Concentrons donc nous sur Takahata et sur son dernier film.

Le film est une adaptation fidèle d'un des contes japonais les plus anciens, appelé Kaguya-hime (Princesse Kaguya), écrit au 10ème siècle, également connu sous le nom de Taketori monogatari (le conte du coupeur de bambou), et se divise originellement en 7 petits contes. Il en respecte la trame principale mais en la divisant en deux parties plus distinctes : découverte et éducation de Kaguya en campagne suivies de l' arrivée en ville et dénouement de l'histoire. La dernière partie du conte est laissée de côté cependant, les conséquences de la découverte de la vraie condition de la princesse ne sont pas montrées une fois qu'elle effectue son "voyage retour".


Pourquoi je vous parle de tout ça ? C'est parce que Takahata s'adapte au contexte du conte original dans ses choix artistiques et dans son style de dessin. Si l'on s'est habitué au dessin et à l'animation plus classiques que l'on peut retrouver dans les Miyazaki ou autres films d'animation plus récents, dans son dernier film Takahata opte pour l'impression d'estampe et à recours au rendu crayonné. Excellente idée au demeurant puisqu’elle donne au conte un aspect à la fois irréel (certains plans semblent ne pas être terminés sur leur cadre, concentrant toute l'attention sur ce qui se passe dans le centre de l'image, sans détail superflu) et plus ancré dans la réalité (le coté crayonné des silhouettes et l'animation parfois rigide des personnages sont très travaillés). On ne sait jamais vraiment à quelle époque se passe l'histoire (même si l'on devine qu'elle se déroule dans un Japon plus ancien), mais le Japon étant un pays à forte culture traditionnelle qui a encore de beaux restes dans la Société actuelle, tout du moins un peu plus contemporaine, l'époque importe peu au final. Si le fond est passionnant, la forme est soignée, donnant souvent l'impression de regarder des tableaux traditionnels de campagne nippone, avec ses cerisiers en fleur et ses montagnes embrumées. On pense beaucoup au film Impression de montagne et d'eau (88) qui  à l'époque avait recours au lavis, technique permettant d'animer des des œuvres peintes à l'encre de Chine ou à l'aquarelle, donnant l'impression de regarder des toiles en mouvement. 


Une fois la forme assimilée, penchons nous sur le fond. Si d'autres réalisateurs de film d'animation ancrent leurs films dans des contextes plus fantastiques ou avant-gardistes, et en profitent pour glisser un message plus ou moins subtil selon leurs envies (écologie, peur du nucléaire, société de consommation, mettez ce que vous voulez), Takahata, lui, se démarque de ses collègues en optant pour un traitement très réaliste de ses sujets. à la frontière du documentaire. C'est ce qui rend d'ailleurs ses films si reconnaissables. Rappelez-vous (sans pleurer) du magnifique Tombeau des lucioles. Si la trame principale traitait du destin funeste de deux enfants livrés à eux même, le film dressait un portrait radical et cru de la société japonaise en temps de guerre. Égoïsme, repli sur soi, les rêveurs et les plus faibles ne méritent pas qu'on les aide. Le miroir tendu à ses compatriotes n'était pas des plus flatteurs. Mais le discours peut être moins radical et le point de vue plus distant, curieux et tendre, et là on pourra voir Mes voisins les Yamada comme une tranche de vie dans un Japon plus contemporain, où l'on découvre une famille japonaise assez traditionnelle dans sa composition (Papa Salary-man, petit garçon et grand-mère à la maison) placée sous le microscope de Takahata qui les laisse faire tout et rien, et dont les péripéties sont une description très juste de ce que peut être une famille lambda au Japon. Pour en revenir à Kiguya, le récit nous permet ici de découvrir les us et coutumes d'un Japon plus ancien, avec ses codes vestimentaires, ses parades de prétendants, et toujours ces traditions et comportements typiquement japonais, qui peuvent paraître parfois excessifs d'un point de vue occidental. La forme ne prend jamais le dessus sur le fond, chaque geste essentiel à l'intrigue est illustré à l'écran de manière documentaire (vous saurez tout sur l'épilation des sourcils et les dents noires). 
Mais si Takahata sait soigner son style graphique, il est également très doué pour insuffler de l'émotion dans son film. Responsable de plusieurs crises de larmes devant le tombeau des lucioles, il récidive encore ici dans le dernier tiers de son film, lorsqu'arrive la révélation sur la vrai nature de la Princesse, et du compte à rebours qui s'ensuit. On s'attache très vite à cette princesse qui a voulu s'approcher trop près de la Terre, qui ne veut plus la quitter, et lorsqu'elle prend son envol dans la campagne japonaise dans les bras de son ami, l'émotion est à son plus haut niveau et Takahata, aidé dans son oeuvre par Joe Hisaichi, nous assène le coup de grâce avec l'arrivée du vaisseau, sur fond de musique joyeuse alors que le contexte ne s'y prête pas du tout. Conclusion à la fois touchante et cruelle pour un conte qui dans sa version papier, dirons nous, laissait une trace plus poétique du passage de Kaguya sur Terre. Le film se contente de montrer tous les personnages rencontrés par Kiguya et qui la voient repartir sans retour, n'ayant été que de passage pour la plupart d'entre eux. 


Bref : Le film n'est pas des plus joyeux de l'été, de par son thème (faut il être riche, ne manquer de rien et être malheureux ou être dans le besoin mais bien entouré et libre de ses mouvements, heureux?) et par le coté parfois très froid de son dessin (jamais une métropole soit disante grouillante de vie et synonyme d'épanouissement n'aura été si déprimante), mais il en ressort une belle leçon d'humanité et d'acceptation de l'autre, quelque soit son origine et son milieu. 





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